Photo ou art contemporain ?

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 16 décembre 2013 - 793 mots

Qu’est-ce qui fait qu’une photographie
se retrouve dans une vente d’art contemporain ou de photographie ? Dans le secret des aiguillages…

Le passage en salle des ventes d’une œuvre d’Andreas Gursky ne passe jamais inaperçu. Surtout après celle de Rhein II adjugée 4,3 millions de dollars (3,1 millions d’euros) en novembre 2011 chez Christie’s à New York, faisant de cette photographie exécutée en 1999 la plus chère du monde. Aussi la vente, le 17 octobre dernier chez Sotheby’s à Londres, de Paris Montparnasse était-elle attendue au regard de cette autre pièce historique du photographe allemand, réalisée six années avant Rhein II et marqueur de ses débuts en numérique, et tout autant importante dans le développement de la photographie que de l’art contemporain.

Estimée entre 1,2 et 1,8 million d’euros, elle a été acquise à 1,482 million d’euros ; un montant satisfaisant pour le département art contemporain de Sotheby’s Londres qui ne s’était pas trompé dans l’estimation de cette épreuve d’artiste dont l’autre exemplaire est détenu par la Tate.

Question d’estimation
Le 15 novembre, c’était au tour de Sotheby’s Paris d’enregistrer pour son département photographie de bons résultats avec un total de vente de 2,2 millions d’euros, certes bien en deçà de ceux récoltés à Londres quatre semaines plus tôt avec un seul Gursky. On le sait : le marché de la photographie n’est pas celui de l’art contemporain, les montants atteints par les œuvres sont bien moindres, et les clients différents. Lors de la vente photo de Sotheby’s, Le Musée du Louvre II (1989) de Thomas Struth, autre figure avec Gursky de l’école de Düsseldorf, a ainsi obtenu 151 500 euros, troisième plus haute enchère de la vente derrière le portfolio d’Helmut Newton Photographien (229 500 euros) et le chef-d’œuvre d’Irving Penn, Mouth, New York (tirage de 1992) qui a été acquis 289 500 euros par un collectionneur européen, battant le record mondial pour un dye transfer de l’artiste.

La question se pose néanmoins : qu’est-ce qui fait que telle ou telle photographie contemporaine sera plutôt de la compétence du département art contemporain d’une maison de ventes aux enchères plutôt que de son département photo ? Qu’est-ce qui fait notamment qu’un Paris Montparnasse de Gursky ne puisse pas se retrouver trois semaines plus tard à Paris dans une vente de photographies concordant avec Paris Photo ? « Plusieurs raisons, explique Simone Klein, directrice du département photographie Europe de Sotheby’s. Le classement de telle ou telle pièce en art contemporain dépend de l’œuvre, de la valeur et de l’estimation données, et du désir du client. Dans le cas de Gursky, sa vente par le département art contemporain de Sotheby’s était d’autant plus justifiée que la vente evening à Londres regroupait d’autres pièces en art contemporain exceptionnelles et qu’elle se déroulait en même temps que Frieze. L’audience était donc là. En revanche, pour les photographies contemporaines de cette école de Düsseldorf qui n’ont pas d’estimation au-delà de 400 000 ou 500 000 euros, sur des tirages plus petits, nous pouvons les imaginer dans notre vente de photographies ; de plus petits tirages de Gursky se sont ainsi retrouvés de nombreuses fois dans nos ventes, à l’instar de Thomas Struth, que l’on peut retrouver aussi bien en art contemporain qu’en photographie. »

Question de stratégie
C’est donc le curseur de l’estimation qui fait qu’une photographie de Stéphane Couturier dans la même veine que Paris Montparnasse de Gursky, certes différente dans son approche et sa technique, demeurera du ressort d’un département photo d’une maison de ventes, ses tirages s’étageant entre 30 000 et 40 000 euros pour ses plus grands formats, et entre 6 000 et 8 000 pour les plus petits, sachant que 80 % de ses photographies sont des formats uniques, et le nombre de tirages va de trois à cinq, voire huit de temps en temps. « Stéphane Couturier n’atteint pas de prix élevés, car il reste dans le domaine de la photographie pure », estime Simone Klein. « Parce qu’il est en édition à la différence de Gursky qui, par ailleurs, a tout de suite exposé dans de grandes galeries internationales », précise de son côté Bernard Utudjian, directeur de la galerie Polaris qui le représente. « Ce qui fait que l’on ne s’adresse pas à la même clientèle. Gursky a bénéficié d’autre part d’une stratégie commerciale, toujours d’actualité d’ailleurs, que Stéphane Couturier et moi-même avons toujours refusée. À savoir, jouer sur la rareté et l’augmentation de prix tout en mettant en avant les pièces qui passent en salle des ventes. En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais voulu monter les prix, même si certains de nos clients le regrettent. Nous faisons attention de ne pas nous couper de la base de nos collectionneurs et de notre clientèle jeune qui se renouvelle. » 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°664 du 1 janvier 2014, avec le titre suivant : Photo ou art contemporain ?

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