Cassation

Petits dols entre amis

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 2004 - 655 mots

Marchand d’art : tel est pris qui croyait prendre.

Le dol est en matière civile ce que l’escroquerie est en droit pénal, une manœuvre destinée à tromper la confiance d’un contractant. La sanction civile est l’annulation du contrat,  que les juges peuvent compléter de dommages-intérêts. Mais le code civil (art. 1116) précise que le dol « ne se présume pas, et doit être prouvé », ce qui est souvent difficile, les escrocs n’ayant pas coutume d’avouer leurs intentions. C’est pourquoi les actions civiles sont peu courantes, les plaignants préférant se cantonner à la demande de nullité pour erreur lorsqu’il y a défaut d’authenticité, ou porter plainte en espérant que les investigations des juges permettront de faire apparaître la fraude. En toute hypothèse, le succès des plaignants n’est pas assuré. Surtout lorsqu’on ne sait plus qui trompe qui...
Une affaire récemment tranchée par la Cour de cassation en donne une illustration caricaturale. On comprend à la lecture de l’arrêt qu’un acheteur, lui-même peu scrupuleux, a été berné par des comparses dont il ignorait évidemment le concert frauduleux. Le plaignant s’était vu proposer un lot d’objets par un quidam qui lui avait déjà vendu des marchandises à l’authenticité douteuse. Il avait décliné l’offre. Peu après, un amateur s’était manifesté, se disant prêt à acheter le lot. Après avoir encaissé un acompte en espèces (200 000 francs tout de même) de cet amateur, le plaignant s’était empressé d’acheter et de payer les objets qu’il avait auparavant refusés, certain désormais de les vendre avec un substantiel bénéfice à cet amateur/pigeon providentiel. Son attente fut vaine, le « pigeon » s’étant envolé, abandonnant son acompte de 200 000 francs pour, sans doute, partager le magot (1 400 000 francs) avec les vendeurs. L’acheteur dupé avait d’abord porté plainte, mais la procédure s’était soldée par un non-lieu. Il avait alors saisi les juridictions civiles pour obtenir l’annulation de la vente pour dol. S’il avait choisi d’agir pour dol, c’était certainement parce que, dans la précipitation de son achat, il n’avait pas jugé nécessaire de demander un document certifiant l’authenticité des objets, à laquelle d’ailleurs il ne croyait sans doute pas. Et, faute d’un certificat d’authenticité, une action en nullité pour erreur sur la substance, qui est le moyen généralement utilisé, est incertaine.
La cour d’appel de Montpellier, par un arrêt du 18 septembre 2001, avait rejeté sa demande. Les juges d’appel avaient considéré que la motivation de son achat n’était pas la « valeur qu’il aurait attribuée de façon erronée aux objets en cause », mais la croyance qu’il avait de les revendre, à un prix « alléchant »… Les juges d’appel avaient conclu « qu’un tel comportement, “signe de cupidité”, [était] nécessairement illicite (et) justifi[ait] l’application de l’adage “nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude” ». La morale était sauve… mais pas l’orthodoxie juridique. C’est ce que la Cour de cassation a rappelé en cassant la décision des juges de Montpellier, par des attendus en forme de rappel au règlement. Elle a relevé que, dès lors que l’acheteur « avait été victime de manœuvres dolosives exercées de façon concertée […] dans le seul dessein de lui soutirer une somme d’argent importante […] il s’ensuivait que la vente était nulle et que le principe selon lequel “nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude” ne pouvait recevoir application, peu important que l’intéressé ait lui-même agi en croyant réaliser un profit substantiel non justifié ». En censurant également le rejet de la demande de dommages-intérêts, la Cour de cassation a rappelé que l’adage « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » ne s’applique qu’en matière pénale. Presque la leçon d’un maître assistant à un étudiant en 2e année de droit...
L’histoire n’est pas close, puisque les juges de la Cour de cassation ont renvoyé les parties devant une autre cour d’appel. En supposant que l’acheteur gagne la dernière manche, il lui restera à recouvrer son argent...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Petits dols entre amis

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