Garanties

Partenaires particuliers

Les grandes maisons de ventes se tournent de plus en plus vers des tiers pour garantir certains lots proposés à l’encan

Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2010 - 755 mots

NEW YORK - Plus d’un an après que Sotheby’s a introduit l’enchère irrévocable dans ses catalogues de ventes, mentionnée par un petit fer à cheval, beaucoup demeurent encore perplexes sur sa signification.

« Cela ajoute une couche de saleté, confie un marchand. Imprimer un symbole que personne ne comprend sème la confusion. » L’enchère irrévocable est un avatar de la garantie au sens strict. Si les vendeurs sont assurés d’être payés quoi qu’il arrive, la garantie au sens strict implique que la maison de ventes avance les fonds sur ses propres deniers. Dans le pire des cas, celle-ci se retrouvera propriétaire de l’œuvre qui n’a pas trouvé preneur. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire quand l’œuvre est vendue au-delà du montant garanti, la maison de ventes et le vendeur se partagent le surplus.

Les enchères irrévocables ont été développées il y a une quinzaine d’années par Sotheby’s, de manière à faire courir les risques par un tiers. Christie’s lui a emboîté le pas il y a environ cinq ans, en scellant des contrats identiques. Mais, depuis novembre 2008, Sotheby’s a renouvelé la donne en décidant de distinguer les lots garantis par la maison (avec un cercle) et ceux garantis par un tiers dont l’anonymat est gardé (avec un cercle et un fer à cheval). Christie’s, en revanche, se contente d’identifier les lots garantis, sans faire de distinction particulière. Sotheby’s motive cette décision par un souci de transparence. « Nous avons opté pour la plus grande clarté possible, tout en respectant les intérêts de nos acheteurs et de nos vendeurs », explique Mitchell Zuckerman, directeur des services financiers chez Sotheby’s. Or, les marchands et les collectionneurs s’accordent à dire qu’ils ne saisissent pas tout à fait cette pratique.

Qui prend les risques ?
Les garanties apportées par des tiers progressent depuis que les maisons de ventes tiennent de moins en moins à se mettre en première ligne. Lors des années fastes 2005-2008, Sotheby’s et Christie’s ont toutes deux mis sur la table des centaines de millions de dollars en garantie, la plupart du temps pour des œuvres impressionnistes, modernes et contemporaines (700 millions de dollars, soit 450 millions d’euros, pour le seul printemps 2008). Tout a changé avec la crise des crédits à l’automne 2008, et la fragilisation du marché de l’art qui s’en est suivie.

« Nous avons engrangé des pertes, précise Mitchell Zuckerman. Nous avons annoncé que nous allions arrêter de fournir des garanties. » « Tant que les marchés n’évoluent pas du tout au tout, nous chercherons des tiers pour apporter des garanties », indique Marc Porter, président de Christie’s États-Unis. Si les maisons ont refusé d’identifier leurs partenaires, des sources proches des dossiers indiquent qu’il existe un pool d’une dizaine de collectionneurs et de marchands intervenant de manière régulière, parmi lesquels l’homme d’affaires et collectionneur Steven Cohen et les marchands Robert Mnuchin, William Acquavella ainsi que la famille Nahmad. « Nous faisons très attention [au moment de choisir nos partenaires], explique Mitchell Zuckerman. Notre candidat idéal est un client qui serait tout aussi satisfait d’acheter le lot au prix marteau, plus les frais lors la vente. »

Sotheby’s et Christie’s s’offrent ainsi la garantie d’avoir une enchère irrévocable. Ces acheteurs, qui s’engagent par contrat, peuvent prendre tous les risques, comme les partager avec la maison de ventes. Si les deux maisons structurent leurs contrats de la même manière, il existe au moins une différence : Christie’s verse un forfait financier à son partenaire, que ce dernier ait emporté ou non le lot. Ces frais sont retenus sur la somme totale que doit débourser l’enchérisseur, ou directement transférés sur son compte. Sotheby’s, elle, ne récompense que les enchérisseurs-partenaires malheureux, et ce en fonction du prix marteau final.

L’intérêt financier n’est pas forcément très attractif pour le tiers qui se porte garant. « Je n’encourage pas cette pratique », confie l’avocat spécialisé en art Ralph Lerner. Il conseille ainsi à ses clients : « Ne le faites que si vous avez vraiment envie d’acheter l’œuvre pour son montant garanti. Vous devez vraiment l’adorer, car cette offre n’est pas très avantageuse sur le plan financier. » Cela dit, d’autres y trouvent leur compte. « J’aime bien me porter garant, confie William Acquavella, qui compte les deux maisons de ventes comme partenaires. J’ai beaucoup travaillé sur des œuvres que j’aurais aimé posséder. Je suis plus que ravi d’obtenir des pièces au prix pour lequel je me suis porté garant. C’est toujours quelque chose que l’on prend en considération. C’est une manière alternative de conclure des affaires. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Partenaires particuliers

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