Paris, Londres, New York, un semestre au beau fixe

Art ancien, moderne et contemporain, art déco, art primitif, photographie : six experts dressent un bilan

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 30 juin 2000 - 1662 mots

La bonne santé de l’économie et les profits importants générés par la bourse en début d’année, avant que le Nouveau Marché et le Nasdaq enregistrent des mouvements de Yo-Yo, ont profité au marché de l’art qui a poursuivi sa progression ce semestre. De nouveaux clients, généralement dotés d’un pouvoir d’achat élevé, ont fait leur apparition. Six experts – Franck Baille pour les tableaux modernes, Éric Coatalem pour les maîtres anciens, Christophe Durand-Ruel pour l’art contemporain, Cheska Vallois pour l’Art déco, Hélène Leloup pour l’art primitif et Alain Paviot pour la photographie – analysent, chacun dans leur domaine, l’évolution du marché.

Tableaux modernes par Franck Baille
La progression de la cote des tableaux des écoles du XIXe siècle et des courants naturalistes du XXe siècle, a été confortée par l’élargissement de la clientèle. La bonne forme de l’économie européenne et la forte progression de la bourse, ont, en outre, généré de nouveaux clients qui disposent de fonds importants. Ces acheteurs sont plus exigeants qu’ils ne l’étaient dans les années quatre-vingt. Ils posent les bonnes questions. La signature n’est plus un critère absolu et une prime spéciale est donnée aux œuvres inédites dont la provenance est garantie. Le marché est soutenu aux États-Unis comme en France. Certaines ventes, comme celles de tableaux du XIXe siècle, qui ont eu lieu à New York ont, néanmoins, connu des records de rachat qui s’expliquent, en partie, par les estimations et les prix de réserve élevés fixés par les maisons de vente. Les acheteurs se portent plus volontiers vers les œuvres s’apparentant aux impressionnistes et aux écoles qui s’en sont inspirées. Les amateurs réclament des peintures aux tonalités gaies, chatoyantes et ensoleillées. Ce qui explique que l’école de Barbizon et ses sous-bois intimes et sombres aient moins la faveur du public. Malgré la suprématie du marché américain, certaines œuvres se vendent, en France, à des prix égaux ou supérieurs à ceux obtenus outre-Atlantique. Il est significatif de constater que certaines toiles qui ont été ravalées à New York ont trouvé preneur à Paris au-delà du prix de rachat. Ainsi de ce merveilleux port de Collioure peint par Henri Martin ravalé à New York avant d’être adjugé 1,3 million de francs à Paris, le 29 mars, et d’une série de toiles de l’école de Pont-Aven qui n’a pas trouvé acquéreur à Londres mais a été emportée à Paris au-delà de l’estimation basse. On note aussi, ces derniers mois, un regain d’intérêt pour la sculpture en général et les bronzes animaliers d’Antoine Louis Barye en particulier.

Tableaux anciens par Éric Coatalem
Le marché des tableaux anciens a poursuivi sa forte progression. De très fortes enchères ont ponctué les ventes new-yorkaises de début d’année même pour les petits maîtres dont les prix explosent en vente publique. L’image prime de plus en plus. Quand s’ajoute à la beauté du sujet la notoriété de la signature, les prix sont très soutenus. Les vedute figurent parmi les œuvres les plus recherchées. Elles ont enchéri de 30 à 40 % ces derniers mois. En témoigne le prix élevé – 6,6 millions de dollars (43,4 millions de francs) – obtenu par une vue du Grand Canal vu du Campo di San Vio de Canaletto qui a triplé son estimation. Les vues de Rome et de Venise, peintes par Vanvitelli et Guardi se tiennent aussi très bien.

De bons prix ont, également, été obtenus par une toile de Tiepolo, Alexandre et Campaspe dans l’atelier d’Apelle, qui a été adjugée 2,2 millions de dollars et par une Pietà de Carrache qui s’est envolée à 5,2 millions de dollars (34,2 millions de francs) à New York au mois de janvier. Les tableaux anciens de qualité atteignent désormais les prix des toiles impressionnistes moyennes. Les petits maîtres connaissent, eux aussi, une progression spectaculaire tel Godfried Schalken, dont une toile de 1690, montrant une jeune femme se regardant dans un miroir, est partie à 855 000 dollars (plus de 5 millions de francs) en janvier. De plus en plus d’amateurs de tableaux impressionnistes se tournent désormais vers les maîtres anciens qui demeurent relativement moins chers. Sur le marché français, les surprises ont été rares. On a remarqué un chef-d’œuvre de Le Nain, Le Reniement de saint Pierre, qui a été emporté à 8,3 millions de francs. La bonne santé du marché a attiré à Paris un grand nombre de clients étrangers, venus plus nombreux qu’en 1999. Le déplacement du marché vers New York s’est encore confirmé ce semestre.

Art contemporain par Christophe Durand-Ruel
Les résultats des six premiers mois de l’année confirment la force du marché et la prééminence de New York qui demeure la place la plus importante. Les clients recherchent de plus en plus des icônes de la création contemporaine, que ce soit dans l’œuvre d’un artiste ou d’une génération. En témoigne le prix élevé – 1,7 million de dollars avec les frais, contre une estimation haute à 800 000 dollars – obtenu par Woman in tub de Jeff Koons. Les acheteurs, qui ont généralement des moyens financiers considérables, sont prêts à dépenser des sommes élevées pour certaines pièces. Ils font, néanmoins, preuve d’une grande sélectivité et restent de marbre quand des pièces moyennes leur sont proposées.

Les photographes plasticiens et en particulier les élèves de l’école allemande, disciples de Bernd et Hilla Becher comme Thomas Struth, Thomas Ruff et Andreas Gursky, atteignent des sommets. Ces prix ont été encore amplifiés par le fait que les marchands ont une politique restrictive par rapport à la clientèle et que ces artistes ne produisent pas énormément. L’an passé, près de 55 % des acheteurs des ventes new-yorkaises étaient des Européens. Le marché se partage entre des collectionneurs établis et connus et les nouveaux venus qui ont bénéficié de la vogue de la nouvelle économie et de l’explosion de la Bourse. À Paris, les artistes français sont encore peu présents dans les ventes et les pièces importantes d’artistes comme Annette Messager, Christophe Boltanski et Bertrand Lavier sont rares. Le marché est assez sain et ne s’est pas emballé malgré ces prix spectaculaires.

Art déco par Cheska Vallois
Les prix des meubles art déco poursuivent leur forte progression. Les dernières ventes qui se sont déroulées à Londres et New York le montrent. Les 10 millions de francs, frais compris, obtenus, à Londres le 10 mai chez Christie’s, par la ménagère de Legrain et les 5,5 millions de francs atteints par un meuble de Jean-Michel Frank, qui a battu un nouveau record mondial dans cette spécialité, confirment, si besoin est, le dynamisme du marché. À New York, un paravent d’Eileen Gray s’est vendu chez Sotheby’s 1,2 million de dollars, un fauteuil de Rateau environ 700 000 dollars avec les frais. Une console d’Eileen Gray a, elle, fait plus de 550 000 dollars chez Christie’s, le 8 juin. De tels prix n’avaient pas cours dans cette spécialité, il y a quelques mois. Nombre d’acquisitions ont été réalisées par de nouveaux collectionneurs qui ont rejoint les clients arrivés sur le marché il y a deux ou trois ans. En France, la cote des meubles de Dupré-Lafon, qui a obtenu plusieurs enchères dépassant le million de francs, s’est confirmée. L’explosion des prix a débuté il y a deux ou trois ans. Les douze chaises de Rateau que j’ai vendues, il y a trois ans, 200 000 dollars sont parties à 900 000 dollars, à New York un an et demi plus tard.

Art primitif par Hélène Leloup
Toutes les pièces intéressantes de la collection de Grunne, vendues en mai à New York, ont atteint de très bons prix comme le masque Hemba emporté à 115 000 dollars chez Sotheby’s. Une statuette Songe s’est, quant à elle, envolée à 162 000 dollars, un prix mérité. Les bons objets se sont, dans l’ensemble, bien vendus alors que les pièces moyennes ont été un peu délaissées. Ainsi, près de 50 % des lots vendus dans la deuxième vente qui s’est tenue à New York, le 19 mai chez Sotheby’s, n’ont pas trouvé preneur. Paris a connu, de son côté, de fortes enchères. Un masque Punu du sud Gabon en bois de fromager a été adjugé un million de francs, un prix étonnant. Une petite gazelle Bambara s’est, quant à elle, vendue 245 000 francs avec les frais, début juin chez Briest, dans une vente d’art contemporain. Paris est véritablement en train de prendre la première place sur le marché de l’art primitif. Plusieurs signes le montrent. Dans la vente Baudouin de Grunne à New York beaucoup d’acheteurs étaient européens. L’ouverture du Pavillon des sessions au Musée du Louvre a provoqué un regain d’intérêt pour l’art primitif. Celle du Musée du quai Branly devrait encore confirmer l’importance de la place de Paris. J’ai remarqué l’arrivée de quelques nouveaux acheteurs sur ce marché notamment lors des dernières ventes dirigées par Sotheby’s qui a eu l’intelligence d’exposer des objets d’art océanien et africain en même temps que des tableaux importants. Des gens qui ne connaissaient rien à l’art primitif ont été surpris par la beauté de ces pièces et se sont portés acquéreurs.

Photographie par Alain Paviot
Le marché en galerie se porte bien et continue son petit bonhomme de chemin. Les prix ont augmenté selon une progression régulière. En vente publique, en revanche, l’évolution est plus surprenante. Des objets de piètre qualité parviennent, comme il y a cinq ans, à réaliser des prix impressionnants. Il y a un emballement irraisonnable du marché. La photographie des années cinquante est en train de prendre sa place. Les images du XIXe siècle deviennent très rares et quand les tirages sont exceptionnels les prix le sont aussi. S’agissant des années cinquante, on commence à s’apercevoir que les photographes de l’après-guerre avaient quelque chose à dire. Les images de Robert Doisneau commencent à faire de bons prix comme celles de Willy Ronis, René-Jacques et Édouard Boubat mais plus en galerie qu’en vente publique. Man Ray a repris sa place, Brassaï commence à véritablement prendre la sienne mais il devrait encore progresser. Je suis très optimiste quant à l’évolution de ce marché.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Paris, Londres, New York, un semestre au beau fixe

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