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ART CONTEMPORAIN

Orozco à l’épreuve du temps

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 5 octobre 2022 - 667 mots

PARIS

Le végétal et le géométrique composent, à travers l’empreinte et le recouvrement, le « journal des plantes » que l’artiste déploie à la Galerie Chantal Crousel.

Paris. Depuis 2014, Gabriel Orozco vit entre le Mexique (où il est né en 1962) et le Japon. Cela se voit depuis plusieurs années dans son travail et plus encore avec cette série d’une cinquantaine de petites œuvres sur papier présentées à l’occasion de la huitième exposition de l’artiste, en trente ans, à la Galerie Chantal Crousel. Réalisées au cours de ces deux ou trois dernières années, elles sont peintes à la gouache, tempera, encre et graphite sur de petites feuilles de papier. Et pas n’importe lequel papier puisqu’il s’agit d’un cahier de notes japonais qu’Orozco a abordé comme un carnet de voyage. « Je me déplace toujours avec lui. Il est petit, se glisse facilement dans ma poche et est d’une utilisation très facile », nous précise l’artiste. Une sorte de journal et même un « Diario de plantas », ou « journal des plantes » selon le titre de l’exposition, qui permet à Orozco de conjuguer et de contracter ses deux thèmes essentiels : le temps et la nature.

Tous ces dessins évoquent en effet des motifs végétaux réalisés à partir d’empreintes de plantes, feuilles ou branches, la plupart du temps combinés à un dessin à main levée. Ce dernier figure souvent un anneau (ou ruban) de Möbius, à la fois questionnement de la notion de surface, introduction de la géométrie (qui a toujours fait partie du vocabulaire d’Orozco) dans la nature telle une effraction de l’ordre dans le végétal, et symbole de l’infini. Avec ce dernier point Orozco poursuit et élargit son approche et sa quête du temps dans toutes ses dimensions, celles du palimpseste aussi bien que de l’illimité, à travers des jeux d’échelle, passant de la structure de la feuille à celle de la branche. Et évidemment à celle de l’arbre qui a toujours été à la fois la racine, le tronc et la sève de son travail. « Les arbres sont exemplaires et surprenants. Ils sont une sorte de machine parfaite, de corps parfait. Ils sont si étranges et mystérieux, quelquefois exotiques également », dit-il, enfonçant là quelques portes ouvertes. Dans le même registre, on peut lire dans le communiqué de presse : « En un sens, mon rêve est de créer un jour un monde aussi fantastique et parfait qu’un arbre. » Joli programme, un brin utopique.

De très petits formats

Ces feuilles, de papier et d’arbres, sont ici complétées par quelques tableaux de format moyen et surtout par deux grandes toiles qui semblent l’agrandissement, l’approfondissement, l’aboutissement du travail sur papier. Ces toiles parlent également de temps, mais d’un temps plus long. L’une d’entre elles, dont la sœur est dans les collections du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, a ainsi nécessité une dizaine d’années de travail. Certes pas à temps plein, mais c’est la durée dont Orozco a eu besoin pour gratter, effacer, repasser, recouvrir, puis estomper, oblitérer à nouveau et ainsi de suite. Comme un mille-feuille, non pas en épaisseur mais en profondeur, nourri des strates d’une mémoire plus ou moins enfouie. Dans une gamme plus vive, dominée par des jaunes subtils, la seconde toile qui constitue la cime de l’exposition est d’une splendide complexité formelle et chromatique. Elle aussi fait du temps sa flèche et sa clef de voûte pour composer une improvisation construite (tel un compositeur de jazz), faire croire à un hasard qui n’en est pas un, mettre un peu d’ordre dans le chaos et peut-être inventer un sens au monde.

Cette toile vaut aussi son pesant d’or : 950 000 dollars (plus de 943 000 €). Quant aux petites feuilles, il faut compter 35 000 dollars pièce, une somme élevée pour de si petits formats [voir ill.]. Ces prix s’expliquent en partie par le parcours d’Orozco qui comprend des expositions personnelles ou rétrospectives organisées dans les plus grandes institutions internationales, du Centre Pompidou à Paris au MoMA de New York en passant, entre autres, par le Kunstmuseum de Bâle en 2010.

Gabriel Orozco, Diario de plantas,
jusqu’au 8 octobre, Galerie Chantal Crousel, 10, rue Charlot, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : Orozco à l’épreuve du temps

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