Art ancien

Trois questions à

Nicolas Schwed, spécialiste en dessins (ex-directeur international du département Dessins anciens et du XIXe siècle chez Christie’s)

« Il est probable que je me mette à mon compte »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 2 décembre 2005 - 812 mots

Comment se porte le marché du dessin ancien ?
Le marché se porte très bien pour les bons dessins : les prix n’ont jamais été aussi hauts, comme pour la Tête de saint Joseph d’Andrea Del Sarto [1486-1530], adjugée 6,5 millions de livres sterling [9,5 millions d’euros] chez Christie’s à Londres le 5 juillet, soit de loin un record pour l’artiste et le troisième prix le plus haut pour un dessin ancien. Aujourd’hui, un bon dessin peut se vendre à n’importe quel prix. Et, pour les autres dessins, soit 80 % des œuvres proposées en vente publique, les prix n’ont pas bougé depuis dix ans. Par exemple, le 25 janvier, chez Christie’s à New York, un dessin à la craie noire sur papier brun de Pietro Longhi [1702-1785], beau mais un peu triste, s’est vendu à 66 000 dollars [50 500 euros], soit le même prix qu’il y a dix ou quinze ans, ce qui n’est pas très cher. Précisons que les collectionneurs de dessins sont généralement des gens passionnés et très connaisseurs. Ils achètent rarement dans un but lucratif, et, pour eux, la qualité prime avant tout : il y a quelques années, nous avons vendu à Londres un magnifique dessin de Eustache Le Sueur [1616-1655], en parfait état, pour plus de 200 000 livres, lequel est maintenant dans la collection Prat. En janvier, à New York, nous avons eu un autre dessin de Le Sueur, de même taille et de même type de composition, mais en beaucoup moins bon état. Eh bien, à 60 000 dollars, personne n’en voulait. Bien que la différence de qualité puisse sembler marginale, la différence de valeur entre le très bon et le correct est considérable. Ce qui est primordial pour qu’un dessin fasse un gros prix est, en dehors de la qualité, que, primo, l’attribution soit certaine et, secondo, que le dessin soit en très bon état. J’ajouterai que la qualité du dessin compte certainement plus que le nom de l’artiste, sinon comment expliquer qu’un dessin de Fenzoni fasse 200 000 dollars [202 500 euros] chez Christie’s à New York le 28 janvier 2000 ?
Quant au dessin XIXe, contrairement aux idées reçues, il n’est pas toujours facile à vendre. Peu d’artistes XIXe valent beaucoup d’argent, et ces dessins sont bien moins rares que les anciens (il y a des milliers de Delacroix, par exemple !). En bref, les bons dessins XIXe sont presque plus difficiles à trouver que les bons dessins anciens. Malgré cela, beaucoup de gens sont attirés par le XIXe, car les prix n’y sont pas très élevés.

Quel est votre dernier coup de cœur artistique ?
Une série de photographies intitulée « Télévision » d’une jeune photographe contemporaine, Maria Gadonneix, que j’ai découverte dans une foire de photographie contemporaine à Cologne au début de l’année. La série représente des plateaux de télévision entièrement vides. La télévision est de plus en plus un miroir aux alouettes d’une société basée sur la consommation et obsédée par le
divertissement (surtout, on ne doit pas s’ennuyer !). Vides, ces mêmes plateaux représentent la vacuité même de cette civilisation. Ce sont de belles photographies, bien loin de mes dessins anciens. Et je n’ai pas de télévision !

Quelle est votre actualité ?
Après douze ans passés chez Christie’s, je quitte mon poste de directeur international du département des dessins anciens et XIXe. J’ai envie de faire autre chose… J’ai reçu diverses propositions et aucune ne m’intéresse pour l’instant. Il est probable que je me mette à mon compte. En attendant, je termine, en collaboration avec l’historien d’art Giuseppe Scavizzi (pour la partie « Peintures »), le catalogue raisonné bilingue anglais/italien de l’œuvre de l’artiste maniériste italien Ferraù Fenzoni [1562-1645], à paraître en 2006 aux éditions Ediart [Todi, Italie]. Avant de quitter Christie’s, j’ai bouclé deux ventes de dessins. Celle du 16 décembre, à Paris, compte à peu près 600 lots (la quantité est là mais pas toujours la qualité), et celle du 24 janvier, à New York, environ 200 dessins. La pièce phare de la vente de New York est une Étude de torse nu masculin à la craie noire de Michel-Ange [1475-1564]. Issu de la collection Gathorne-Hardy, ce dessin n’était pas réapparu depuis sa vente, le 24 novembre 1976 chez Sotheby’s à Londres pour 178 200 livres. Ce prix était alors le plus haut jamais payé pour un dessin ancien.
Aujourd’hui, ce même dessin est estimé 4 millions de dollars [3,4 millions d’euros], soit le tiers du dessin le plus cher du monde actuellement. Mais à l’époque, contrairement à aujourd’hui, on n’avait pas vu passer de feuille de Michel-Ange depuis fort longtemps. Sur les quatre dessins du maître italien de la Renaissance qui sont sortis ces douze dernières années, celui-ci, s’il n’est pas le plus beau, est l’un des plus puissants. Il se vendra bien, même s’il ne fera sûrement pas un nouveau record.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°226 du 2 décembre 2005, avec le titre suivant : Nicolas Schwed, spécialiste en dessins (ex-directeur international du département Dessins anciens et du XIXe siècle chez Christie’s)

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