New York tire à vue

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 25 septembre 1998 - 594 mots

Christie’s tient la vedette des ventes de photographie d’octobre à New York, grâce à deux vacations estimées à un total de 5 millions de dollars. La maison franco-britannique met aux enchères, le 5 octobre, une paire de tirages de Man Ray avec des estimations records, mais dont la provenance est confuse. De son côté, Sotheby’s dispersera 484 images, dont 36 issues de la collection Gilman.

NEW YORK - Noire et Blanche de Man Ray vont-elles faire grimper le marché de la photographie à un nouveau sommet ? Une paire de tirages – l’un en positif, l’autre en négatif – de ce célébrissime portrait de Kiki tenant un masque africain est estimée 600-800 000 dollars par Christie’s. Un tirage, en positif, a été vendu 354 500 dollars (environ 1,78 million de francs) par le même auctioneer en 1994.
Cette paire fait partie des 152 images mises en vente par le marchand d’art Barry Friedman, évaluées à un total de 3 millions de dollars. Selon Rick Wester de Christie’s, les deux tirages datent de 1926-1927 et sont donc contemporains de la prise de vue, l’analyse des papiers, des tests scientifiques le confirment. Ces précisions sont essentielles pour les acheteurs, après la révélation de plusieurs affaires de faux Man Ray ou de tirages posthumes. En revanche, la provenance des images est confuse. Le catalogue indique : “de l’artiste ; à Lucien Treillard ; avec Alain Paviot, Paris et la Galerie Rudolf Kicken, Cologne”. Pour Rick Wester, Barry Friedman les a acquises après l’exposition “Happy Birthday Photography” organisée en 1989 chez Kicken, avec la collaboration de Paviot. Interrogé par le JdA, Alain Paviot affirme que “la paire reproduite dans le catalogue ne vient pas de sa main”, et “qu’en ce qui concerne celle utilisée par Rudolf Kicken, il suffit de lire son ouvrage pour voir le côté privé de la provenance, bien différent de celui annoncé par Christie’s”. De son côté, Lucien Treillard, secrétaire de Man Ray de 1960 à sa mort en 1976, soutient que l’artiste a vendu une paire au marchand italien Luciano Anselmino. Ce dernier l’a rétrocédée plus tard à Treillard pour éponger des dettes, mais le secrétaire indique ne plus se souvenir quand il s’en serait séparé. Un flou qui montre une fois de plus à quel point la gestion de l’œuvre de cet artiste apparaît chaotique lorsque celle-ci met en jeu des sommes considérables. Outre Man Ray, la collection Friedman, intitulée “L’image comme objet” comprend des images de Rodtchenko, Dubreuil, Lissitzky, Kertész, Berenice Abbott... Le lendemain, Christie’s dispersera 417 lots, dont un daguerréotype considéré comme le premier portrait connu d’Abraham Lincoln (200-300 000 dollars).

Le 7 octobre, Sotheby’s met en vente 36 images issues de la collection constituée par la Gilman Paper Company. Commencée en 1975, et riche aujourd’hui de quelque 7 000 images allant des primitifs aux années soixante, elle est reconnue comme l’une des plus remarquables et des plus structurées au monde. Les tirages proposés (un portrait attribué à Alvin Langdon Coburn et supposé être un autoportrait, des Atget, Weston, Bill Brandt, Steichen, Man Ray – le portrait d’André Breton –, Paul Strand, Robert Frank, Walker Evans...) sont en double, ou secondaires, et leur vente doit permettre le financement de nouvelles acquisitions. Une sélection de la collection sera exposée pour la première fois à Paris, au Carrousel du Louvre, lors du salon Paris Photo, du 20 au 23 novembre. La vente Sotheby’s comprend au total 484 lots, parmi lesquels des icônes de Man Ray, Dorothea Lange, Diane Arbus et, par Edward Weston, Chambered Nautilus Shell-Halved de 1927 (estimation 150-200 000 dollars).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°67 du 25 septembre 1998, avec le titre suivant : New York tire à vue

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