Entretien

Nello di Meo, galeriste

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2008 - 768 mots

« Exposer les artistes que j’aime »

Votre galerie (1) fête cette année ses cinquante ans. Quel en a été le parcours ?
Mon frère Dino, un personnage merveilleux et autodidacte, a créé la galerie en 1958, initialement au 12, rue des Beaux-Arts, à Paris. Il voulait d’abord faire de l’art contemporain, mais très vite, par manque de moyens, il l’a transformé en bureau de courtage. En 1967, avec l’appui de Marie-Laure de Noailles, notre bienfaitrice, il a déménagé rue de l’Échaudé. Je l’y ai rejoint en 1969. Notre sœur Lydie est arrivée peu de temps après. Jusqu’en 1986, nous sommes restés rue de l’Échaudé, ensemble. Nous étions devenus le passage obligé des marchands italiens à Paris. Mais, je me trouvais à l’étroit, le travail de courtage était proche de celui d’antiquaire et je voulais faire des expositions. En 1986, nous avons inauguré la galerie du 5, rue des Beaux-Arts avec une magnifique exposition Fautrier. J’ai par la suite rencontré des artistes romains et depuis, nous avons alterné art moderne et art contemporain.

Comment l’activité de marchand a-t-elle évolué en cinquante ans ?
Le marché était beaucoup plus confidentiel autrefois. Les choses étaient plus faciles, informelles. On pouvait acheter un dessin Rive Gauche et le revendre Rive Droite avec un bénéfice, ce qui est impossible aujourd’hui car tout le monde sait tout. Les tableaux sont aussi plus rares et les goûts ont changé.

Votre galerie a traversé deux séismes, celui du choc pétrolier de 1973 puis celui de 1990. Ces deux crises se ressemblent-elles ?
À notre niveau, nous n’avons honnêtement pas perdu grand-chose lors de la crise de 1973, car nous n’avions rien à perdre. Mais les grands marchands avaient eux une peur panique. J’avais vendu au marchand Sprovieri un tableau de Tanguy qu’il a mis beaucoup de temps à nous payer. Avec le solde qu’il nous devait, j’ai acheté notre première œuvre de Cy Twombly. En revanche, la crise de 1990 nous a frappés de plein fouet. Les banques sollicitaient les galeries jusque sur les stands des foires. Nous avons alors emprunté de grosses sommes d’argent pour financer l’achat de tableaux. Puis, du jour au lendemain, après la vente Bourdon, les prix ont baissé des deux tiers, tandis que les intérêts bancaires étaient de 12 à 14 %. Les banques prêtent un parapluie quand il fait beau et le referment quand il pleut ! Nous avons pu tenir cahin-caha, parce que nous étions propriétaires des murs de la galerie, et d’autres biens immobiliers. Mais bien des marchands disparurent ! La cote de certains artistes ne s’en est pas encore remise, alors que celle d’autres comme Fontana et Wesselmann s’est envolée !

Et aujourd’hui, sommes-nous dans une crise ?
Probablement, mais ce n’est pas le même genre de crise. Les marchands ne sont pas endettés. Honnêtement, nous avons bien travaillé, mais nous sentons que c’est moins facile. Nous avons du mal à trouver des tableaux qu’on puisse vendre à des prix raisonnables.

L’identité de votre galerie est très italienne, entre l’Arte povera et l’école romaine. Comment le marché a-t-il évolué pour ces artistes ?
Ce marché ne fait que croître depuis l’an 2000. Les cas les plus flagrants sont peut-être ceux d’Alighiero e Boetti et Pistoletto. Une Mappa de Boetti qui valait environ 600 000 francs atteint aujourd’hui près de 850 000 euros. Un miroir de Pistoletto est passé en dix ans de 300 000 francs à 300 000 dollars. Il existe encore une marge de progression, car ces artistes sont rentrés depuis quelque temps dans le marché américain. Le chemin de nos artistes romains comme Dessi, Gallo, Nunzio, Pizzi Cannella ou Tirelli nous satisfait tout autant.

Vous exposez des artistes hors mode comme Michel Haas. Est-ce facile dans le contexte actuel de défendre des créateurs qui ne soient pas « tendance » ?
J’ai toujours voulu garder une liberté dans ma galerie, et exposer les artistes que j’aime, sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit. Les collectionneurs qui partagent notre sensibilité nous suivent.

Pour la première fois, depuis 1993, vous n’avez pas été sélectionné par la Foire de Bâle. Comment l’expliquez-vous ?
Nous n’avons pas de stratégie pour plaire à la Foire de Bâle. Elle s’oriente comme toutes les foires, vers la mode, or nous n’entrons pas dans ce registre ! Grâce à Dieu, nous sommes passés à un stade où nous pouvons nous permettre de ne pas y être, même si je considère qu’elle est la meilleure foire du monde. Cela nous obligera à être plus inventifs pour dynamiser l’activité de la galerie.

(1) 9, rue des Beaux-Arts, 75006 Paris, tél. 01 43 54 10 98, www.dimeo.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : Nello di Meo, galeriste

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