Nadal-Ginard aime l’art à la folie

Des œuvres d’avant-garde en vente forcée

Le Journal des Arts

Le 2 mai 1997 - 505 mots

Les 6 et 7 mai, Sotheby’s va disperser une partie de la collection d’art contemporain de Bernardo Nadal-Ginard, un cardiologue de Boston, professeur à l’École de médecine de l’université de Harvard, qui, entre 1985 et le début des années quatre-vingt-dix, a acheté les œuvres les plus audacieuses, dignes des musées. Pourtant le nom de ce collectionneur n’apparaît nulle part...

NEW YORK. Il est rare que de telles toiles d’avant-garde figurent dans une vente aux enchères, et elles n’aurait probablement pas été mises sur le marché si leur propriétaire n’avait été contraint de s’en séparer. Cette vente réunit près de deux cents œuvres d’artistes comme Matthew Barney, Transsexualis, 1991, estimation 100 à 150 000 dollars ; Jeff Koons, Stacked, 1989, est. 125 à 175 000 dollars ; Rachel Whiteread, Amber Bed, 1991, est. 30 à 40 000 dollars; Robert Gober, Child’s Leg, 1992, est. 60 à 80 000 dollars, et Kiki Smith, Pee Body, 1992, est. 60 à 80 000 dollars. Sotheby’s a misé sur la réputation d’audace de la collection de Nadal pour susciter l’intérêt et se voir confier d’autres œuvres – mais le nom du cardiologue n’apparaît ni dans le dossier de presse ni sur l’invitation à la vente. La Boston Children’s Heart Foundation (BCHF, Fondation de cardiologie infantile de Boston) recevra le produit de la série de ventes confiée à Sotheby’s : les 6 et 7 mai, puis en novembre à New York, les 26 et 27 juin à Londres. Cette fondation à visée "caritative" – créée par le Dr. Nadal-Ginard en grande partie pour générer à terme des "compensations" pour ses collègues et lui-même – rassemble d’éminents enseignants en cardiologie. Le nom du Dr. Nadal-Ginard a été omis pour la simple raison que le médecin se trouve en prison après avoir détourné des fonds de la BCHF. Au cours du procès, en mai 1995, Nadal-Ginard a déclaré à la Cour vouloir donner "dix ans de sa vie" pour savoir comment un chèque de 300 000 dollars provenant des fonds de la BCHF était arrivé sur son compte en banque. Le cardiologue a eu une certaine chance. Condamné à un an de prison seulement, il purge sa peine dans une maison de correction de Boston. La défense de Nadal-Ginard s’est fondée sur un diagnostic selon lequel le médecin souffrait de troubles nerveux cyclothymiques, qui le poussaient à faire des achats frénétiques d’art contemporain. À en croire un marchand d’art, "ils ont jeté un coup d’œil sur sa collection et ont été persuadés qu’il était vraiment fou." Dans les milieux autorisés, l’origine de ces œuvres n’a rien d’un secret. Sotheby’s compte même sur la notoriété de Nadal-Girard pour faire monter les enchères. Tobias Meyer, qui dirige le département d’Art contemporain, souligne : "Beaucoup de gens connaissaient ses activités dans ce domaine, et ce qu’il achetait était notoire. Les musées sont particulièrement intéressés. Ces pièces sont toutes très prometteuses. Il savait déjà très bien ce qu’il faisait à l’époque." Voilà qui pourrait porter un coup fatal à la défense du Dr. Nadal-Ginard plaidant la folie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°37 du 2 mai 1997, avec le titre suivant : Nadal-Ginard aime l’art à la folie

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque