Galerie

Myriam Mihindou, mot pour mot

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2019 - 688 mots

PARIS

L’artiste d’origine gabonaise tire les fils de l’étymologie des mots, les associe en les faisant résonner dans un enivrant langage qui lui est propre.

Paris. En yipunu (une des langues gabonaises les plus parlées), murumangalu signifie « celui qui refuse de se soumettre » et dikagny, « celui qui ne se soumet pas ». La nuance a son importance aux yeux de Myriam Mihindou. De façon moins subtile, on pourrait parler d’indocilité. Ce mot, « indocilité », l’artiste l’a écrit en relief une bonne trentaine de fois avec des fils de cuivre sur l’un des murs de la galerie. En bas de ces lignes d’écriture, aux allures de crêtes de vagues successives, elle a d’ailleurs aussi noté les deux termes yipunu précités. Myriam Mihindou aime jouer avec les mots, les sens, les glissements de sens. Et les langues ; ou plus exactement encore les parlers frontaliers, comme le montre cette autre œuvre qui figure les mots « visage » et « gsicht » (sans « e »), la traduction de visage dans le dialecte de Meisenthal, une commune des Vosges où elle a été en résidence au Ciav (Centre international d’art verrier). C’est d’ailleurs en verre que Myriam Mihindou a réalisé plusieurs fois la forme de la lettre Y, qu’elle décline également en bois et qu’elle écrit à l’endroit ou à l’envers, les branches tête en bas. Juste au-dessus toujours en fil de cuivre est accroché le mot « analphabète ». Des mots ou des phrases, il y en a encore, mais dans des collages, cette fois, où se côtoient fils de cuivre et petits papiers épinglés avec des aiguilles, coupures de journaux ou définitions découpés dans des dictionnaires. Elle les nomme « étymologies », signe de sa passion depuis l’enfance pour les encyclopédies et les vocabulaires. Ces mots qu’elle tisse, tresse et triture pour les faire encore mieux flotter et danser dans l’espace, comme le suggère le titre de l’exposition « Ivresse ». Toutes ces œuvres font partie de la série « De la langue secouée » commencée en 2007, avec toujours une anguille sous roche et une ambiguïté dans les termes choisis à l’exemple encore, sur un autre mur, de ce « Desamours » dont on ne sait, compte tenu de la graphie, s’il faut le lire en un ou en deux mots, autrement dit dans un sens positif ou négatif comme les « y » droits ou renversés précédemment évoqués.

Des métissages revendiqués

Dans le travail de l’artiste, il y a ainsi beaucoup de dualité, sans doute liée à sa double culture, celle, par son père, du Gabon (où elle est née en 1964, à Libreville et où elle a vécu jusqu’à 20 ans), dont les reliquaires Kota, en cuivre, ne sont pas sans rapport avec ses propres fils, conducteurs eux aussi de lumière. Et celle de la France par sa mère. Deux pôles, sans parler de l’Égypte, du Maroc, d’Haïti… où elle a vécu ou séjourné, qui lui ont donné la conscience du métissage, des lisières, des frontières, des distances, des inégalités. Deux sculptures, en coton et blanc de Meudon rappellent ici que Myriam Mihindou pratique différents médiums (elle a, dans d’autres expositions, présenté des photos, des vidéos, des performances…) et que le corps est toujours bien vivant dans sa démarche. En effet, l’une représente une tête de louve dont on peut voir, par l’arrière, ce qu’elle a dans le crâne et l’autre des mains, un sujet récurrent dans son travail. Compris entre 2 500 euros pour les plus petites œuvres et 9 000 euros pour la plus grande installation Indocilité, les prix sont abordables pour une artiste regardée depuis que l’Afrique connaît un important regain d’intérêt et qui depuis une quinzaine d’années a participé à de grandes manifestations comme « Lille 2004, Capitale européenne », « Africa Remix » au Centre Georges Pompidou à Paris en 2005, « Matériel, immatériel » au Musée Dapper en 2007, « Les Maîtres du désordre » au Musée du quai Branly en 2012 ou encore à la dernière Biennale de Venise, en 2017, avec une performance marquante intitulée La Curée. Une politique de prix revendiquée par la galeriste Maïa Muller, qui souhaite que « les œuvres de Myriam Mihindou restent accessibles pour les collectionneurs ». Ces derniers ne s’y sont pas trompés, puisque la plupart des œuvres ont déjà été acquises.

Myriam Mihindou, Ivresse,
jusqu’au 16 janvier, galerie Maïa Muller, 19 rue Chapon, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°514 du 4 janvier 2019, avec le titre suivant : Myriam Mihindou, mot pour mot

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