Monsieur cent mille volts

Un portrait de Dominique Chevalier, président du SNA

Le Journal des Arts

Le 23 novembre 2001 - 1061 mots

Depuis mai 2001, Dominique Chevalier préside le Syndicat national des antiquaires. Nouveau challenge pour celui qui, par deux fois en sept ans, dirigea l’Association des antiquaires et galeries d’art du carré Rive gauche. Un rien provocateur, dynamique et passionné Dominique Chevalier pratique l’humour et l’autodérision. Cet homme d’affaires énergique a appris à relativiser le succès. À l’écoute des autres, on lui reconnaît désormais des qualités fédératrices.

PARIS - Est-ce parce qu’il voulait autrefois être médecin que Dominique Chevalier porte le nœud papillon cher aux praticiens ? Visage émacié voilé par une barbe rase, regard pétillant, il éclate de rire. « Une carrière se construit par une succession d’occasions ratées ou non. » Adieu la médecine, puisque Pierre, son jumeau lui a lancé un ultimatum il y a une trentaine d’années, « je reprends l’affaire familiale, si tu me suis ». Le grand-père Camille Chevalier, après avoir perdu le bras droit à la guerre, fonde une entreprise de restauration et de nettoyage de tapis. Ceux-là même qu’il vendait avant les hostilités au magasin du Bon Marché à Paris. Georges, le père, « un honnête homme », reprend l’affaire. Cinq enfants naissent, l’aîné est médecin. Deux filles suivent, passionnées par les métiers d’art. Et les jumeaux, qui montrent très tôt des dispositions pour le commerce. Le banquier François Falque est l’ami de Dominique depuis cinquante ans : « Dans leur chambre, les objets passaient d’un côté à l’autre. Dominique aimait la musique et sa chaîne hi-fi s’est retrouvée un jour dans les affaires de Pierre, échangée sans doute. » Les deux frères se sont pris au jeu en se lançant dans l’entreprise familiale. « Il a travaillé très tôt sur le terrain, poursuit François Falque. Il avait une vie mixte où études supérieures, École des cadres et histoire de l’art se mêlaient à la pratique. D’ailleurs, il semblait plus passionné par l’aspect concret du métier. » À l’âge de vingt-cinq ans, voilà les frères Chevalier à la tête de l’usine de Courbevoie. Quelques années plus tard, ils entrent comme experts en salles des ventes. « Ils m’amusaient, commente Gérard Champin, président du Conseil des ventes, ils s’agitaient tels des godelureaux. »

Depuis, le couple de frères a évolué sans se séparer pour autant. « Nous ne sommes pas 2, mais 2 à la puissance 2, soit 4, calcule Pierre. » Des affrontements d’une rare violence les secouent parfois. « L’entreprise avançait, raconte Dominique, mais c’était difficile à vivre. On implosait, on ne tolère pas la moindre faiblesse de son jumeau qui est son miroir. » Depuis, officiellement, leurs fonctions au sein de l’entreprise se sont séparées. Pierre travaille au secteur restauration, Dominique et son épouse Nicole de Pazzis-Chevalier à la galerie du quai Voltaire. Cette dernière évoque avec bonheur sa complémentarité avec Dominique tout en évoquant le poids de la gémellité. « C’est un moteur parfois fatigant, ils sont constamment en compétition. » Pierre est devenu président de la Sema (Société d’encouragement aux métiers d’art), puis Dominique, président du Syndicat des antiquaires. « C’est un battant », dit Pierre à propos de son double.

Un fonceur bouillant d’énergie
Depuis la disparition tragique de sa première femme, Dominique Chevalier relativise. « J’ai tendance à être optimiste. Je suis heureux de me réveiller, je pense que tous ceux qui ont eu des souffrances deviennent plus positifs. » Bouillant d’énergie, fonceur développant mille projets, ce personnage apparemment si sûr de lui prend la mesure de son succès. « Certains sont plus cultivés que nous, Nicole par exemple est une ‘sachant’, nous nous débrouillons bien dans le commerce. Je suis ce que je suis parce que j’ai eu un père et un grand-père avant moi et je dois partager avec mon jumeau, cela relativise le succès. » Humble, Dominique Chevalier ? « On doute aussi quand on a eu des échecs et on se remet en question. » Il se souvient d’une galerie de tapisseries contemporaines ouverte quand ils débutaient, vite fermée, ou de l’épisode américain, dont « nous sommes sortis la tête haute sans une dette ». Autre ami d’enfance, autre banquier, Jean-François Berthier confirme : « Les difficultés économiques lui ont fait prendre conscience du caractère un peu provisoire de la réussite. S’il est conscient de la chance qu’il a eue, il sait aussi qu’il a fait prospérer le capital qu’il a reçu. » Chacun s’accorde, à l’égal du libraire et ex-président du Syndicat des antiquaires Claude Blaizot, à lui reconnaître une grande force de travail. « Outre une intelligence vive et sensible, il possède un tempérament d’efficacité rapide. » Défaut de ses qualités. « Il est impulsif, poursuit Claude Blaizot, et se laisse parfois un peu emporter. » Manque de diplomatie, réaction vive à chaud, Dominique Chevalier reconnaît ce qui fut un handicap. « J’étais un petit roquet, avec le temps et l’expérience, je me suis assagi. J’ai appris à me maîtriser. » Christian Deydier, spécialiste des arts asiatiques et ex-challenger de Dominique Chevalier au poste de président lui reconnaît des qualités de fédérateur. « Il cherche la solution qui convient le mieux à tout le monde, et s’efforce de faire passer ses idées en douceur sans être cassant. » Fidèle en amitié, monsieur le président cultive les rapports humains.
Sabine Bourgey, expert en numismatique, membre du conseil d’administration du Syndicat apprécie ses capacités à dédramatiser. « Il fait attention aux autres et sait faire baisser le lait dans la casserole quand le ton monte. Comme il a de l’humour, non seulement il n’est pas ennuyeux mais il sait pratiquer l’autodérision. » Sourire aux lèvres, un rien provocateur parfois. « C’est la personne qui s’amuse le plus dans ses activités », admire Jean-François Berthier. Fier de son métier d’antiquaire, fier aussi d’avoir été élu président du Syndicat, Dominique Chevalier a compris que le temps était venu de communiquer. « Je voudrais que Syndicat organise des événements tous les ans. » Hervé Aaron, marchand d’art spécialisé dans le XVIIIe siècle, délégué à la communication au Syndicat s’avoue ravi qu’il soit président. « Il bouillonne d’idées. » En marge de son métier d’antiquaire, il lance en Iran la fabrication d’une ligne de tapis. « Nous faisons revivre des villages à travers un travail artistique. » Une façon bien à lui de se démarquer de son jumeau. Chaleureux, spontané, parfois brusque, il reconnaît ne pas laisser indifférent. Nicole Chevalier confirme en riant : « C’est un homme merveilleux, mais parfois fatigant. » Lui se détend en cultivant son jardin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°137 du 23 novembre 2001, avec le titre suivant : Monsieur cent mille volts

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