Mikaeloff, l’électron libre

Portrait d’un homme sans préjugés

Le Journal des Arts

Le 11 mai 2001 - 999 mots

Marchand, décorateur, peintre ou sculpteur, Yves Mikaeloff surgit toujours là où on ne l’attend pas. Ce provocateur désire avant tout réussir sa vie et n’hésite pas à prendre de nouveaux virages lorsqu’il en sent le besoin. Passionné, il aime la liberté, et ne déteste pas dérouter.

PARIS - “L’art est une merveilleuse provocation, on ne peut communiquer à travers des lieux communs.” Regard clair presque transparent, élégance raffinée et voix douce, l’antiquaire Yves Mikaeloff sourit. L’homme paraît posé, étrangement calme, mais le regard pétille. Derrière l’apparence de gentleman érudit se cache un drôle de personnage qui avoue aimer réconcilier les contraires. D’ailleurs, sa dernière présentation au Salon des antiquaires de Genève se voulait être un paradoxe. Le ton était donné dès l’entrée par un clin d’œil : une commode dont les bronzes avaient été remplacés par du Plexiglas. Un chemin initiatique menait à travers un décor de théâtre vers un cabinet italien. Explication simple. “J’aime les espaces vivants.” Impossible de demeurer indifférent. Yves Mikaeloff, une fois de plus a remporté une victoire : on parlait de lui. Il jubile, habitué à ce genre de combat. “Toute ma vie, j’ai essuyé des sarcasmes.” Pourtant ses présentations à la Biennale des antiquaires restent ancrées dans les mémoires. Ses confrères le qualifient volontiers d’électron libre.
 
“C’est un grand compliment, confie-t-il en riant, puisque l’électron a échappé à l’attraction du noyau et doit inventer son propre magnétisme et sa pesanteur, comme moi.” Antiquaire, décorateur ou plasticien sont pour lui les facettes d’une même créativité. “Je refuse le cloisonnement, parfois on pense que je balance d’une activité à une autre, mais pour moi ce ne sont que les différents épisodes d’une même vie.” Yves Mikaeloff garde toujours à l’esprit que “cette vie est un cadeau à transcender et que chacun doit trouver sa voie dans sa rencontre décisive avec le destin”. Ce fatalisme peut le pousser à changer d’activité quand il sent qu’il a atteint un point de saturation. Ses confrères parisiens n’ont pas toujours apprécié ses changements de cap, en particulier, lorsqu’il a décidé de consacrer plus de temps à la sculpture.

L’émotion de la découverte
Alors, traître à la cause des antiquaires Yves Mikaeloff ? Certes non, il apprécie toujours son métier de marchand. “J’aime ce mot, il symbolise le commerce. J’ai commencé à acheter mes tapis dans les bazars, là où le commerçant est celui qui se déplace, échange un support matériel contre de l’argent et noue des relations. Là où les civilisations se rencontrent.” Il évoque l’émotion de la découverte d’une œuvre rare et le bonheur de la voir accrochée dans un lieu prestigieux comme cette tapisserie russe aux armes de Pierre le Grand acquise grâce à lui par le Musée de l’Ermitage, ou celles créées d’après des cartons de Raphaël, posées aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York. Ce “colporteur de savoir” parle volontiers par métaphores “le véritable enseignement c’est de donner soif et que le goût de cette eau déclenche un désir insatiable.” Comment croire que ce poète est un scientifique, détenteur d’un diplôme d’ingénieur et d’une licence de physique ? Fils d’un émigré iranien installé à Lyon pour y vendre des tapis, il aurait dû intégrer une grande entreprise. Le destin lui a joué un tour. Le service militaire dans la Marine a satisfait son goût pour la liberté. “Nous passions des nuits à naviguer à vue, à sentir le vent, en contact avec les éléments”, se souvient-il. Affecté au service de la communication et des expositions du ministère de la Marine, il rencontre le monde de la peinture. Son destin bascule. Il abandonne sa thèse en cours à la faculté d’Orsay, s’inscrit dans une école d’art, peint, sculpte. Il continuera toute sa vie. De retour à Lyon après une tentative infructueuse dans la décoration, un accident de voiture l’immobilise six mois. Alors, il rentre dans l’entreprise familiale. Son père, autodidacte, le laisse observer. “On commence par le poids du tapis, son odeur, son toucher, on s’imprègne de la matière.”1968 n’est pas loin, il porte les cheveux longs, la barbe, travaille avec des acteurs l’activité corporelle. Aujourd’hui encore, il pratique le décathlon. “On a tort d’isoler le corps, l’élégance ne tient pas au vêtement mais à la façon de bouger.”

À Marseille avec femme et enfants
Enfin, à l’issue d’une dizaine d’années d’apprentissage du travail, il s’installe avec femme et enfants à Marseille, monte des expositions de tapisseries au Musée des archives de la cité phocéenne et dans la salle du Conclave à Avignon. C’est ici qu’il rencontre ses premiers clients importants. Après d’incessants voyages, il pose ses bagages dans sa galerie de la rue Royale à Paris, d’où il déménage encore, quelques numéros plus loin, pour prendre un autre virage. À cette époque, sur les salons, on attend le grand antiquaire et c’est le sculpteur qui surgit, montant des installations, soudant, et exposant des bois flottés récupérés dans la mer. “J’ai toujours mon atelier de sculpture à Antibes.” Aujourd’hui, il continue à exposer ses œuvres, comme récemment à Lyon, et prépare un parc d’exposition près de sa propriété du Lubéron. “En pleine liberté, à trois kilomètres du premier village, je n’ai jamais pu habiter dans une ville.” Lorsqu’il coiffe son couvre-chef de décorateur, son équipe peut comprendre jusqu’à cinquante personnes. Sur les murs de sa galerie-atelier, plans, et photographies de ses œuvres côtoient des dessins anciens. Une commode et un petit bureau XVIIIe voisinent avec une drôle de bestiole en ferraille posée sur un tronc d’arbre, signée Mikaeloff. À côté, une salle est consacrée aux matériaux, textiles, marbre, décor peint... “J’aime transformer et me confronter aux artisans, c’est la rencontre de la poésie et du concret, il faut qu’il y ait fécondation.” Liberté, communication, ces mots émaillent constamment son discours. Bouillonnant d’énergie et de projets, il envisage déjà son autre vie. “Je pense que je serai archéologue. La force des objets antiques m’attire. Je n’en possède aucun, je les réserve pour un ailleurs.” Et si dans dix ans l’envie le prenait de partir vers un site ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Mikaeloff, l’électron libre

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