Galerie Noirmont

McDermott et McGough voyagent dans le temps

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2013 - 843 mots

Le duo de photographes fait télescoper des images empruntées à l’Amérique des années 1940 aux années 1960 pour représenter des femmes à un moment critique.

PARIS - Elle est seule sur un grand fond orange, peinte dans un carré comme s’il s’agissait d’un écran et se prend la tête à deux mains, effarée. Elle, c’est Moira Shearer extraite d’une scène du film Red shoes (1948) de Michael Powell et Emeric Pressburger. Un peu plus loin, on tombe sur une Tippi Hedren incrédule sortie des Oiseaux d’Hitchcock ou encore sur une Grace Kelly endormie, prise dans La Main au collet. Si la série américaine Desperate Housewives est terminée pour la télévision, elle n’est pas finie pour tout le monde et notamment pas pour David McDermott & Peter McGough qui prennent ici un évident plaisir à peindre des femmes, actrices de films ou personnages de comics romantiques, en pleurs, en peine, en pleine déprime.

Ce n’est pas la première fois qu’ils s’attaquent au sujet : déjà lors des deux précédentes expositions, également à la galerie Jérôme de Noirmont, en 2006 et 2009 (celle-ci est la septième depuis 1998), ils avaient peint des femmes au bord du gouffre ou de la crise de nerfs, toujours empruntées aux sources précitées. Mais ils juxtaposaient ou superposaient alors les différentes scènes choisies sur un même tableau. Cette fois, s’ils continuent à mettre en avant deux ou trois femmes par toile, elles sont associées, dans des composition recherchées, à des carrés et rectangles en aplats de couleurs vives, verts et orangés principalement. Cela leur permet de faire dialoguer figuration et abstraction géométrique et surtout de rapprocher des temps différents. Car depuis un peu plus de trente ans sur la scène new yorkaise, David McDermott et Peter McGough – respectivement nés en 1952 et 1958, et vivant et travaillant entre New York et Dublin – ont fait du temps, et même plus précisément, du voyage dans le temps le concept principal de leur œuvre. Si le futur semble moins les concerner (« J’ai vu le futur et je n’y vais pas », dit joliment McDermott) en revanche, conjuguer le passé au présent les amuse. Et les dandys duettistes sont jusqu’au-boutistes. Ainsi, lorsqu’ils ont travaillé dans l’esprit du XIXe siècle, dans les années 1980 (et jusqu’en 2000), ils n’ont pas hésité à s’habiller et à vivre comme à l’époque, avec chapeaux hauts de forme et cols amovibles. Ils sont même allés jusqu’à éclairer leur maison et atelier de l’East Village uniquement avec des bougies. Dire qu’ils sont allumés est presque un euphémisme. De même quand ils travaillent un sujet, ils reprennent les procédés du moment. Toujours dans les années 1980,  ils ont réalisé leurs photos dans l’esprit de la fin du XIXe siècle avec les techniques de la gomme bichromatée (gum print), du palladium, du cyanotype. Toutes ces photos ont d’ailleurs fait l’objet d’une rétrospective présentée à la Maison européenne de la photographie à Paris, de novembre 2008 à janvier 2009.

Rendez-vous dans le présent
Le temps est évidemment encore au centre de la série actuellement présentée avec ce télescopage d’images empruntées aux années 1940-1960 d’une part et ces aplats géométriques clins d’œil aux années 1920-1930 d’autre part. Et si les premières sont très teintées pop art, que le couple d’artistes connaît bien – ils ont travaillé à leurs débuts, mais séparément à cette période-là, pour Andy Warhol à la Factory –, les secondes évoquent directement le mouvement De Stijl avec Mondrian et Théo Van Doesburg. Une façon de faire coexister les époques dans le présent et aussi, à travers la reprise de ces images, de mettre en avant leur second thème de réflexion, la comédie humaine, comme le précise McGough : « C’est la condition humaine qui nous fascine, pas les vieux films ou les bandes dessinées », qui leur permettent juste de dénoncer les failles et les défaillances cachées derrière les clichés du fameux rêve américain. En prime, sont également présentées cinq sculptures : des cartons d’emballage réalisés en bois, posés au sol comme s’ils étaient abandonnés dans une cave ou aux poubelles, et remplis de comics « érotico-eau de rose », disposés en trompe-l’œil. Des cartons avec des noms de marques bien connues, comme Campbell’s, Heinz, Brillo en référence évidemment directe à Warhol. Car on l’aura compris, en contre-pied parfait à leur côté « desperate », les œuvres de McDermott et McGough sont très plaisantes et pleines d’ironie et d’énergie. La cote des œuvres, elle, n’est pas en trompe-l’œil : elle va de 55 000 euros pour les sculptures jusqu’à 90 000 et 100 000 euros. Certes ce ne sont pas des petits prix, mais en même temps ils n’ont rien d’effrayant concernant des artistes américains qui comptent trente ans de carrière et de reconnaissance. Et ce, parce que leur marché ne s’est pas enflammé et qu’ils ne sont pas rentrés dans un top X des artistes spéculatifs.

MCDERMOTT & MCGOUGH, IN DREAMS YOU’RE MINE

Jusqu’au 23 janvier 2013, Galerie Jérôme de Noirmont, 38, avenue Matignon, 75008 Paris, tél : 01 42 89 89 00, www.denoirmont.com, du lundi au samedi 11h-19h

MCDERMOTT ET MCGOUGH

Nombre d’œuvres : 12 tableaux et 5 sculptures

Prix : de 55 000 à 100 000 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : McDermott et McGough voyagent dans le temps

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