Masques-antilopes et alliages africains

Deux expositions d’art primitif à Paris, dans les galeries Ratton-Hourdé et Leloup

Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 832 mots

Deux galeries parisiennes d’art africain exposent ce mois-ci. À la galerie Leloup, on disperse la collection d’André Blandin de bronzes et autres alliages d’Afrique de l’Ouest. À la galerie Ratton-Hourdé, on ose une exposition de cimiers Bambara, objets emblématiques d’une Afrique sortie de livres d’images.

PARIS - Les expositions des galeries Ratton-Hourdé et Leloup présentent chacune un caractère exceptionnel. Dans la première, rue des Beaux-Arts, on peut découvrir jusqu’au 28 juillet vingt-cinq masques Tyi Wara, un type de pièce qui n’a encore jamais fait l’objet d’une exposition en galerie. Dans la seconde, quai Malaquais, on trouvera jusqu’au 21 juillet de très nombreuses pièces en métal, denrées rares de l’art africain, allant de l’objet de fouille au bijou protecteur, en passant par une collection de poids parfois très anciens.

Les masques Tyi Wara, appelés aussi “masques-antilopes” ou “cimiers Bambara” (du nom d’une ethnie d’Afrique de l’Ouest), ont en commun, comme leur nom l’indique, la représentation de l’antilope. Finement sculptés, avec leurs longues cornes effilées, ces objets sembleront familiers même au profane. Selon Daniel Hourdé, ils symbolisent l’Afrique dans l’imaginaire collectif. Pourtant, ces masques n’ont jamais été exposés en galerie : “Peut-être à cause de leur caractère archétypal, par peur du caricatural”, suppose le galeriste et expert, qui déclare avoir mis quatre ans à réunir les pièces auprès de collectionneurs européens et américains. Ces sculptures raffinées, à belles patines, proviennent majoritairement du Mali mais aussi de Côte d’Ivoire. Elles ont été réalisées probablement entre 1880 et 1910. Leur prix oscille entre 180 000 et 300 000 francs. Chez les Bambaras, ces cimiers Tyi Wara sont indissociables de l’agriculture, principale activité de l’ethnie. Ces “masques-antilopes” étaient fichés sur la tête d’un “champion des récoltes” à l’occasion des labours. Les sujets représentés se réfèrent à un mythe commun à toutes les populations mandingues, c’est-à-dire des actuels Mali, Guinée, Burkina Faso et Sénégal. Cette légende raconte la genèse du mariage entre la fille d’un roi sacré et une antilope mâle, malgré l’opposition du roi lion et d’un caméléon menteur.

Selon l’ethnologue Youssouf Tata Cissé, lui-même Bambara, rédacteur de la préface du catalogue, les artisans se sont inspirés de cette épopée pour sculpter des masques où se mêlent les trois protagonistes : la jeune fille, l’antilope (symbole de la terre) et le caméléon, traditionnellement lié au ciel. L’antilope est tantôt représentée seule, parfois sur le caméléon, parfois portée par lui, ou encore avec la jeune fille. Selon l’inspiration du sculpteur, d’autres animaux de la mythologie africaine peuvent être représentés sur ces masques : le pangolin, le vautour, le guépard...

La dernière collection de poids anciens
Du côté de la galerie d’Hélène et Philippe Leloup, on présente la collection d’objets de bronzes et autres alliages d’André Blandin. Ce passionné a commencé à collecter les bronzes dans les années 1970 alors qu’il travaillait à Abidjan, pour élargir ensuite son champ de recherche au Mali et au Burkina Fasso. À l’occasion de l’exposition, il publie deux ouvrages répertoriant la collection avec des annotations très complètes.

À l’inventaire : des objets de fouilles du delta intérieur du Niger qu’on peut dater, pour certains, du XVe siècle, de l’art Dogon, Sénoufo, Lobi... Des centaines de pièces, liées au prestige et au pouvoir, des bijoux protecteurs aux pièces de harnachement de cheval, mais aussi une collection de poids anciens. Tous sont des objets rares : “L’habileté de forgeron ne s’acquiert qu’au bout de cinq ou dix ans, beaucoup moins vite que pour le travail du bois, explique Hélène Leloup. De plus, le métal était rare en Afrique de l’Ouest, au point que le cuivre valait parfois plus cher que l’or. Ces objets étaient donc possédés par des familles de chefs. Les cultivateurs, eux, portaient des bijoux de bois ou de paille.” Hélène Leloup est particulièrement attachée à la collection de poids d’André Blandin. Ces petits objets fondus à la cire perdue, collectés en Côte d’Ivoire et au Ghana, datent parfois du XVIe siècle. Ils témoignent d’un commerce de l’or très ancien entre la côte africaine et le Moyen-Orient et constituaient un véritable système de mesures et de paiement, disparu au début du XXe siècle. La dernière collection de poids détenue en mains privées a été récemment cédée au British Museum de Londres. Ces pièces sont accessibles à partir de 300 francs. En général, les prix des pièces de la collection Blandin s’échelonnent entre 3 000 et 10 000 francs. La pièce la plus chère est un vase Kuduo, sans doute du XVIe ou XVIIe siècle. Ce récipient pouvait justement servir à la conservation des objets utiles à la pesée de l’or, mais aussi à contenir des offrandes et des sacrifices ; il est vendu 185 000 francs.

- BRONZES ET AUTRES ALLIAGES DE L’AFRIQUE DE L’OUEST DE LA COLLECTION ANDRÉ BLANDIN, jusqu’au 21 juillet, galerie Hélène et Philippe Leloup, 9 quai Malaquais, 75006 Paris, tél. 01 42 75 91
- TYI WARA, LES CIMIERS-ANTILOPES DU MALI, jusqu’au 28 juillet, galerie Ratton-Hourdé, 10 et 12 rue des Beaux-Arts, 75006 Paris, tél. 01 46 33 32 02.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Masques-antilopes et alliages africains

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