Mais Berlin est boudé

La foire d’art centemporain Art Forum peine à s’affirmer

Le Journal des Arts

Le 5 novembre 1999 - 806 mots

Malgré des aides publiques importantes et un programme visant à séduire les collectionneurs, Art Forum (30 septembre-4 octobre) a été boudé par les visiteurs.

BERLIN (de notre correspondant) - Depuis ses débuts, Art Forum tente sans succès de rivaliser avec la foire de Cologne. Sa quatrième édition semble avoir été un nouvel échec : avec 160 galeries représentant 22 pays et une fréquentation de 16 000 visiteurs, il devra patienter encore avant de faire jeu égal. Rassemblant 260 galeries, Art Cologne, qui se tient cette année du 7 au 14 novembre, offre un choix d’art moderne et contemporain beaucoup plus vaste et attire un plus grand nombre de visiteurs – 70 000 lors de la dernière édition –, originaires de la prospère région rhénane où résident la plupart des collectionneurs allemands.

Les difficultés rencontrées par la foire semblent démontrer les limites de la culture protestante, plus sensible à la musique et à la littérature. “Et dans ce monde où nous parlons tous de globalisation, Berlin reste une île, remarque le couple de collectionneurs, Erika et Rolf Hoffmann, installé dans l’ancien secteur de Berlin-Est. Il n’y a même pas un vol direct de New York ; les infrastructures de transport demeurent un véritable problème.”

Ulrich Gebauer, propriétaire de la galerie du même nom, acquiesce : “Pour moi, ce fut une bonne foire, j’ai presque tout vendu. Mais j’aurais de toute façon cédé les œuvres de ces artistes sur le marché international.  Après quatre ans d’absence, je retourne à Cologne cette année. Il faut que je me concentre sur la Rhénanie, sur les grands collectionneurs. Berlin est bien pour les jeunes artistes et pour les petits et moyens collectionneurs qui investissent jusqu’à 60 000 deutschemarks, mais c’est tout. Le marché berlinois reste faible, très faible. J’estime que 70 % des acheteurs dans cette foire ne sont pas de Berlin.” Ceci expliquerait peut-être pourquoi Sotheby’s, qui avait y ouvert un bureau en 1990, l’a fermé au début de l’année.

Cette année, on observait à Berlin un retour de la peinture. Une large place était également faite à la photographie, tandis que sculptures, vidéos et installations étaient moins bien représentées. Environ 80 % des œuvres proposées avaient moins de trois ans. Après avoir exploré, sans grande réussite, les liens avec l’Europe de l’Est dans les années passées, Art Forum se tourne aujourd’hui vers le Nord (dix-sept galeries scandinaves) et l’Ouest (vingt et une galeries américaines). Parmi les exposants figuraient dix-neuf jeunes galeries, la plus jeune étant celle ouverte à Brooklyn par Leo Koenig, 22 ans, fils du conservateur Kaspar Koenig.

Les tâtonnements d’Art Forum n’ont pas empêché les institutions publiques de la soutenir activement. Avec l’aide de la Fondation de la Loterie allemande, le Sénat de Berlin a acquis des œuvres pour la Hamburger Bahnhof, le musée d’art contemporain ouvert il y a trois ans, dont une grande photographie d’Andreas Gursky, La bibliothèque de Stockholm, achetée 70 000 deutschemarks (235 000 francs) à la galerie zurichoise Mai 36. Une commande d’État du ministre de la Culture Michael Neumann – également président honoraire de la foire –, d’un montant de 250 000 deutschemarks, a permis d’acquérir des œuvres de Carsten Höller, Carsten Nicolai, Hermann Pitz, Karin Sander, Sausanne Weirich et Fritz Balthaus. Une centaine de collectionneurs, dont certains classés dans le “Top 200” publié par le magazine ArtNews, ont été invités pour trois jours au début du salon. Le programme était financé par la Bankgesellschaft Berlin, principal sponsor d’Art Forum. Ces collectionneurs auraient dépensé plus de 12,5 millions de francs pour des œuvres d’Ernesto Neto, Raymond Pettibon, Donald Judd, Kiki Smith, Angus Fairhurst, Sylvie Fleury, Elizabeth Peyton et Pipilotti Rist. Après le départ des invités étrangers, de nombreux exposants ont ressenti encore plus vivement l’absence de collectionneurs. “Les deux premiers jours ont été bons, explique Marco Noire, venu de Turin avec des œuvres de Shirin Neshat et Andres Serrano. Mais ce fut tout. Nous aurions pu rentrer tout de suite après, puisque nous n’avons plus rien vendu. C’était très décevant.”

Une galerie l’emporte contre le comité de sélection

En avril, la commission d’admission d’Art Forum avait refusé à la galerie Eva Poll l’autorisation de présenter des œuvres de l’artiste espagnol Rafael Canogar. Sa décision n’ayant pas été motivée, Eva Poll s’est adressée aux organisateurs de la foire, European Galleries, pour en connaître les raisons. Le 21 septembre, devant le tribunal de Berlin, la galerie a obtenu l’autorisation provisoire de participer à Art Forum. Le tribunal a rendu sa décision conformément à une loi qui s’oppose aux restrictions d’accès aux concours et interdit toute forme de discrimination, en précisant que le rejet de la participation de la galerie Eva Poll n’était pas justifié puisque l’avis de l’expert, rendu après coup, n’avait en rien influencé la décision initiale de la commission et qu’Art Forum n’avait pas adhéré aux critères établis par la seule commission.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°92 du 5 novembre 1999, avec le titre suivant : Mais Berlin est boudé

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