L’orfèvrerie ancienne retrouve son lustre

Ce marché connaît un net regain d’intérêt depuis un an et attire une clientèle plus jeune

Le Journal des Arts

Le 25 mai 2001 - 1268 mots

L’argenterie n’est plus une valeur refuge, comme ce fut le cas au cours du XIXe siècle. Toutefois, ce marché réputé stable et discret, qui présente aujourd’hui plusieurs facettes, est à la hausse depuis plus d’un an particulièrement dans le domaine de l’argenterie ancienne.

PARIS - Bien appréhender ce marché nécessite la prise en compte de plusieurs paramètres telles les différences d’époque, d’orfèvres et de provenance qui influent sur la cote des objets. Jusqu’en 1838, il est d’usage de parler d’orfèvrerie ancienne : chaque objet fabriqué est marqué de trois poinçons : ceux de l’orfèvre, de la garantie et le poinçon de jurande qui donne le titre de l’argent. Après cette date, la Minerve, déesse casquée dans un filet octogonal, constitue la marque de l’argenterie moderne.
Les vitrines d’exposition qui ornent les salles des ventes regorgent de ces objets. Chaque jour, à la suite de successions et de partages, de nombreux services, plats et pièces de forme... sont dispersés. Il s’agit principalement d’une argenterie d’usage produite en grande quantité dans la seconde moitié du XIXe siècle pour une clientèle bourgeoise. Nombre de ces pièces peuvent encore être acquises pour de faibles sommes, entre 5 et 15 francs le gramme. Une ménagère complète d’un modèle classique ne dépasse pas 50 à 60 000 francs comme en témoigne ce service de couverts à filets et coquille de 90 pièces (poids : 5,755 kg), vendu 49 840 francs sous le marteau de Francis Briest, en décembre 2000. Les services à thé néo-rocaille, plateaux ou cafetières dans le goût de l’Empire sont tout aussi abordables. Cette argenterie intéresse généralement un public d’âge moyen, déjà établi mais désireux d’utiliser au quotidien des objets de caractère symbolisant un certain luxe. Les prix sont stables et tout à fait raisonnables si on les compare à l’argenterie neuve.

52,5 millions de francs pour une terrine due à Thomas Germain
L’argenterie courante du XVIIIe siècle est elle aussi plutôt accessible et également stable. Ainsi est-il possible de s’offrir un plat contours en argent du XVIIIe siècle, gravé ou non d’armoiries pour 6 à 8 000 francs et dans une gamme de prix encore plus réduits – entre 3 000 et 5 000 francs – un saleron ou une cuillère à ragoût portant les marques d’un orfèvre de province non identifié. Isabelle Cartier-Stone, jeune responsable du département Orfèvrerie chez Christie’s France, signale, fait nouveau, un regain d’intérêt d’un public jeune.

Très loin de cet univers brille une orfèvrerie d’apparat, chefs-d’œuvre de nos plus grands orfèvres, tels Ballin, Balzac, Biennais, Germain ou Meissonnier. Ces objets d’art, dignes des plus grands musées ne sont pas légion en vente publique ; ils attirent une clientèle internationale richissime en quête d’un prestige culturel à la hauteur de ses ambitions et de sa fortune. La très prestigieuse vente de la collection Ortiz, réalisée par Sotheby’s en 1996, avait permis de voir sur le marché cette orfèvrerie rare. Les prix furent exceptionnels comme celui atteint par une terrine couverte avec doublure et présentoir, à décor rocaille de hures, sangliers et trophées de chasse par Thomas Germain (Paris, 1733-1734) partie à 52,5 millions de francs, un prix record en matière d’orfèvrerie. Entre cette orfèvrerie d’exception et l’argenterie de tous les jours, l’orfèvrerie ancienne, très décorative, de belle qualité et souvent de fabrication provinciale réalise de très bons prix depuis un an ou deux. Les exemples sont significatifs. Une cafetière à côtes torses et manche de bois noir, (Lille, 1768 ; poids 1,290 kg) a été adjugée 24 078 francs à Genève chez Christie’s, en 1998. Trois ans plus tard, le 13 mars dernier, les études Mathias et Million-Robert ont cédé pour 98 580 francs, une cafetière tout à fait similaire, à côtes droites et manche d’ivoire (Lille, 1763 ; poids 1,300 kg). Le 29 mars, l’étude PIASA a adjugé une cuillère à olives en argent uniplat, dotée d’un cuilleron joliment repercé d’armoiries, un travail du XVIIIe siècle (poids 97 g), pour 44 300 francs. Deux ans plus tôt, l’étude Tajan avait adjugé une cuillère à olives semblable, mais plus lourde et mieux référencée, par Charles-Louis Gérard, (Douai, 1738-1739 ; poids 120 g), pour 28 822 francs seulement !

Un marché en hausse
Plus éloquents encore ont été les prix obtenus à Paris à quelques mois d’intervalle par des aiguières d’argent de fabrication provinciale.

PIASA présentait en juin 2000, deux aiguières et leur bassin. L’une d’elles, réalisée à Aix-en-Provence en 1775 par Honoré Burel, aux armes des familles Portalis-Siméon, a été emportée à plus de 330 000 francs ; l’autre, un travail du toulousain Barthélemy Samson (1775) à 343 000 francs. Six mois plus tard, en décembre dernier, les prix avaient encore grimpé : une autre aiguière et son bassin, par Louis II Samson (Toulouse, 1775) est partie à 404 000 francs. Ces pièces étaient estimées chacune entre 100 et 150 000 francs. Le constat est le même chez Christie’s, où les prix se sont envolés. Le 17 juin 2000 à Monaco, une aiguière et son bassin en vermeil uni à frises de laurier, par Jacques-Henri Alberti (Strasbourg, 1776), estimée entre 400 et 600 000 francs, était enlevée à 850 000 francs. Le 10 décembre 2000, toujours chez Christie’s, une théière en argent par Antoine Willems (Calais, 1741-1742), sobre et d’influence anglaise, doublait son estimation basse à 320 000 francs. Confirmation également chez Tajan en décembre dernier avec de beaux résultats pour des objets de caractère et de qualité : un biberon en argent uni (Rodez fin XVIIIe siècle) pour 75 300 F ; une paire de flambeaux (Paris, 1695-1696) à 620 300 francs.

Le marché de l’orfèvrerie ancienne est à la hausse et concerne principalement des objets de caractère. La qualité d’exécution et le charme que leur confère le léger décalage de style par rapport aux canons parisiens séduisent des acheteurs plus avertis. D’après les experts, Émeric Portier et Philippe Serret, ceux-ci sont plus sélectifs et s’en remettent aux avis de spécialistes. Dans cet univers discret et raffiné, les comportements changent. Il ne s’agit pas seulement d’acquérir un bel objet mais aussi de réaliser un bon placement.

Pour en savoir plus

- Expertiser
l Émeric Portier et Philippe Serret, experts près la cour d’appel de Paris 17 rue Drouot – 75009 Paris Tél. : 01 47 70 89 82
l Isabelle Cartier-Stone, expert chezChristie’s 9 avenue Matignon – 75008 Paris Tél. : 01 40 76 85 85
l Thierry de Lachaise, expert chez Sotheby’s 76 rue du faubourg St-Honoré – 75008 Paris tél. : 01 53 05 53 05
- Acheter en vente publique l Jeudi 31 mai , Hôtel des ventes du Palais, Palais des Congrès, Paris Étude Poulain-Le Fur Tél. : 01 58 05 06 07
l Vendredi 1er et mardi 5 juin Hôtel Drouot, Paris, salle 3. Étude Pescheteau-Badin-Godeau-Leroy. Tél. : 01 47 70 88 38
l Mercredi 20 juin Hôtel Drouot, salle 3. PIASA. Tél. : 01 53 34 10 10
l Mercredi 20 juin Hôtel Drouot, salles 1 & 7 Étude NicolaÁ¿. Tél. : 01 42 46 75 10
- Lire
l Françoise Deflassieux, L’Argus des ventes aux enchères Valentine’s – Argenterie, Paris, éditions Dorotheum, 1998, 592 p., réf : ORF 99.
l Michèle Bimbenet-Privat et Gabriel de Fontaines, Datation de l’orfèvrerie parisienne sous l’Ancien Régime : poinçons de jurande et poinçons de la marque de 1507 à 1792, Paris, Publications Paris-Musées, 1995.
l Les Grands Orfèvres de Louis XIII à Charles X. Paris, collection Connaissance des Arts, “grands artisans d’autrefois�?, Hachette, 1965.
l Gérard Mabille, L’Orfèvrerie française des XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles. Catalogue raisonné des collections du Musée des Arts décoratifs et du Musée Nissim-de-Camondo, Paris, collection Musée des Arts Décoratifs, Flammarion, 1984.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : L’orfèvrerie ancienne retrouve son lustre

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