L’œil de l’expert

L'ŒIL

Le 1 février 2003 - 702 mots

120 000 €
La collection du docteur Chavaillon, pharmacien et collectionneur averti, fut dispersée en trois fois et dès le premier soir, la vente avait atteint le total des estimations pour les trois vacations. L’expert, Georges Lefebvre, déclare n’avoir assisté, dans toute sa carrière, qu’à deux autres dispersions de cette importance, celles de Le Tallec et Gilbert Levy. La vente attira la clientèle que cette réputation méritait. Aucune pièce ne fut ignorée ; si modeste soit-elle en apparence, telle cette coupe d’Urbino estimée 750 euros et montée jusqu’à 10 500 euros. Les Albarelli atteignirent d’excellents résultats, mais aussi les faïences françaises primitives, telle cette vierge de Saintonge en terre vernissée adjugée 39 000 euros, ou le lot phare de la vente, une gourde de Masseot Abaquesne adjugée 110 000 euros à un collectionneur américain. Les acheteurs, motivés, se disputèrent la faïence populaire, art « brut » très apprécié selon l’expert, qui se déclinait en faïence patronymique, métiers, rarissimes sujets bachiques et faïences révolutionnaires. Et pour conclure la vente, un résultat unique : ce saladier de 1793, portant l’inscription « w la nation », adjugé 37 000 euros alors qu’il avait été brisé en deux et recollé. L’Apothicairerie Orsini-Colonna fut âprement disputée par le musée de Castelli qui fit l’acquisition de ces deux chevrettes. Elles furent longtemps attribuées à Faenza, mais on a pu récemment déterminer que leur origine était en réalité Castelli et qu’elles étaient liées à l’histoire de deux familles romaines rivales, réconciliées : les Orsini et les Colonna. Sur une bouteille des mêmes ateliers, le British Museum a mis en évidence l’inscription attestant cette réconciliation : « Sarimi Boni Amici » (« Et nous serons bons amis »), accompagnée d’un blason d’alliance, l’ours des Orsini étreignant la colonne des Colonna.
- Châtellerault, 10-11 novembre.

13 209 500 $
Entre 1946 et 1948, Willem de Kooning réalise une série de dix œuvres en noir et blanc dont l’exposition à la Charles Egan Gallery lui attire la notoriété et les éloges de la critique new-yorkaise. Rétrospectivement, cette série historique aura la plus grande fortune critique. L’utilisation du noir et blanc était alors dans l’air du temps : à la même époque, Black or White fut le sujet d’une exposition à la Samuel Kootz Gallery. Orestes, ce titre ténébreux ne fut pas donné au tableau par Elaine de Kooning, ou Charles Egan, comme l’indique le catalogue, mais par son premier acheteur, John Stephan. Il le fit reproduire dans un numéro consacré au mythe de Tiger’s Eyes, sa revue artistique en vogue. Cette œuvre, qui se plaçait dans le sillage de Guernica, peut ainsi, par exemple, être rapprochée des Mouches publiées en 1943. L’artiste travaille alors sur des supports économiques, carton, aggloméré, qu’il badigeonne de peinture laquée, type Ripolin, et rehausse parfois d’huile blanche. Il dispose sur sa toile, ici associées aux lettres RAPT, sans aucune arrière-pensée surréaliste, des formes biomorphiques. Ces anatomies féminines démantelées, patrons de papier habituellement retirés, furent ici collées puis peintes, rayées, mouchetées, et ponctuées de coulures.
- Sotheby’s, New York, 12 novembre.

38 000 €
Robuste et naïve, une licorne incline sa corne dans l’eau, entourée d’une cour de lions et de cerfs. De légères hachures animent étrangement la surface de l’eau et les pelages. Une curiosité dans cette très belle vente au public : l’œuvre de Jean Duvet n’apparaît presque jamais en salle de vente. Mais si cette Licorne purifiant une source dépassa largement son estimation de 20 000 euros, selon l’expert Arsène Bonafous-Murat, c’est grâce au mystère qui entoure l’œuvre et son auteur. Cet orfèvre voyagea tout au long de sa vie, sous le pseudonyme de Duvet, entre Dijon, Langres et Genève la Calviniste, trois villes dont les documents attestent tous son établissement honorable. L’œuvre présentée ici est un sujet allégorique qui s’adresse aux Grands de ce monde, la corne de licorne (le narval), étant connue comme contrepoison, sujet qui concernerait plus précisément les amours de François Ier et Diane de Poitiers. Duvet n’utilisait pas seulement le burin : il associait toutes sortes d’outils, certains de sa fabrication, à des usages variés, sans rigueur. Cette particularité surcharge ses gravures, aux tailles jugées souvent molles et dont on pense parfois que les cuivres n’étaient pas ébarbés.
- Libert, 13 novembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°544 du 1 février 2003, avec le titre suivant : L’œil de l’expert

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