Monographie

L’héritage de Wifredo Lam

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 773 mots

La galerie Fabien Boulakia présente une importante exposition de l’artiste né à Cuba en 1902.

 PARIS - L’avenue Matignon doit-elle sa chaleur estivale au soleil sud-américain ? Après la première vente d’art latino chez Christie’s, puis l’exposition consacrée à Roberto Matta chez Daniel Malingue, Wifredo Lam est au cœur d’une rétrospective proposée par la galerie Boulakia. Ancien proche de l’artiste, Fabien Boulakia a centré cette exposition autour des créations des années 1940, avec
lesquelles Lam affirme un style personnel et obtient la reconnaissance. D’après Philippe Boulakia, la cote de l’artiste connaît un essor depuis environ cinq ans et la clientèle serait principalement américaine, du Nord comme du Sud, aux origines cubaines. Ces collectionneurs, venus en nombre pour la vente Christie’s, ont su apprécier l’exposition qui a nécessité deux ans de préparation. Les prix varient entre 35 000 euros pour un pastel sur papier de 1978 et 750 000 euros pour une large composition abstraite de 1958.
Wifredo Oscar de la Concepción Lam y Castilla est né à Cuba en 1902, d’un père chinois et d’une mère afro-indo-européenne. Installé en Espagne en 1923, il découvre la peinture de Pablo Picasso. Composición, I (1930) est ainsi présentée à titre anecdotique : si le style est scolaire et empreint de diverses influences, l’onirisme est déjà présent. L’ombre du franquisme incite en 1937 le jeune peintre à se réfugier  en France, où il fait la rencontre de Picasso. Le maître espagnol l’introduit dans le cercle des surréalistes, qui lui font découvrir l’art et les masques africains. À partir de 1939, Lam s’embarque pour un long périple à travers les Caraïbes, au cours duquel il fera des rencontres décisives, notamment Frida Kahlo et Diego Rivera au Mexique mais aussi, et surtout, le poète et philosophe martiniquais Aimé Césaire, dont il illustrera en 1947 les Cahiers d’un retour au pays natal. Cette multitude d’influences faisant écho à sa propre richesse ethnique, l’artiste embrasse ses racines afro-cubaines, et son style, à la croisée du cubisme et du surréalisme, acquiert une réelle personnalité. C’est en 1943 qu’il obtient la consécration avec sa série de Jungles, dont l’une est achetée par le MoMA, à New York. L’artiste se paiera même le luxe de décliner l’invitation du directeur du musée, Alfred H. Barr, à participer à l’exposition « Modern Cuban Painters », en 1944. Refusant toute catégorisation, il expose à la galerie Pierre Matisse à New York, où sa découverte de l’expressionnisme abstrait et de l’art du dripping, dont le mysticisme ne lui est pas indifférent, se reflète dans l’imposant Sans titre (série Brousse) (1958).

« un état psychique »
Élevé dans la tradition de  la santeria, religion afro-cubaine qui allie la célébration du dieu Yoruba aux prières adressées aux saints catholiques, Lam approfondit ses connaissances des pratiques vaudous lors de son voyage en Haïti en 1945 et y trouve des correspondances avec le système de croyances de son propre pays. L’artiste s’était auparavant initié aux théories de Carl Jung en 1941 lors d’un séjour à la Havane. Les thèmes de la jungle – comme métaphore de la vie – et du masque – la persona que l’on arbore en public – tiennent une place importante dans les écrits du psychanalyste suisse et se retrouvent dans l’œuvre de Lam. Son univers pictural, habité de personnages hybrides aux yeux vides mais néanmoins perçants, est teinté de symbolisme, première expression de l’inconscient selon Jung. « Ma peinture, explique-t-il, devait communiquer un état psychique. » L’artiste aux racines multiples s’est-il reconnu dans la théorie de l’« héritage psychique » (l’inconscient collectif) ou, pour reprendre le titre de l’exposition, dans les « grands Invisibles » ?
L’ensemble des œuvres présentées ici est l’occasion de retracer les différentes inspirations du peintre, dont certaines sont frappantes : Matisse, pour les couleurs (Je suis, 1949) ; Léger ou Rouault, pour le trait noir enrobant les formes (Sans titre, vers 1940) ; Max Ernst, avec lequel il travailla à Marseille et dont la technique de frottage hante un pastel et fusain sur papier (Sans titre, 1960). Mais l’art de Wifredo Lam réside dans son aptitude à adopter ses influences pour les faire siennes ; là où Modigliani détourne le masque africain pour en habiller ses personnages hiératiques, Lam invente des créatures totémiques qui s’animent, ce grâce à des compositions complexes (La Grande Composition, 1960). À signaler, un dessin à l’encre de grand format dédicacé à Breton (1946) qui rappelle la richesse des rencontres du jeune peintre, symbole du multiculturalisme malgré lui.

WIFREDO LAM, LES GRANDS INVISIBLES

Jusqu’au 31 juillet, galerie Fabien Boulakia, 10, avenue Matignon, 75008 Paris, tél. 01 56 59 66 55, tlj sauf dimanche, 9h30-13h et 14h30-19h. Cat., 137 p., 30 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : L’héritage de Wifredo Lam

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