Design

L’espace aérien de Robert Stadler

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 27 janvier 2015 - 783 mots

Le designer investit la Carpenters Workshop Gallery avec des meubles épurés empruntant à l’architecture formes et matériaux.

PARIS - C’est un travail étonnant sur un matériau aride, la pierre, que livre le designer Robert Stadler dans cette exposition monographique intitulée « Airspace », déployée dans la Carpenters Workshop Gallery, à Paris. Dans le jargon scientifique, la notion d’« Airspace » (en français, « espace aérien ») illustre cette « portion d’atmosphère contrôlée par un pays au-dessus de son territoire ». Dans le cas présent, « il s’agit plutôt de l’air qui circule autour ou à travers les pièces ici montrées », explique Robert Stadler.

La présentation met en regard deux recherches distinctes, d’un côté « PdT », de l’autre « Cut_Paste », mais chacune à leur manière évoque en filigrane l’architecture ou, plus exactement, l’art de construire. La première série, « PdT » pour « Pierre de Taille », découle tout droit d’un précédent travail baptisé « Traits d’union », commande publique réalisée en 2013, à Nancy, et qui comprenait, entre autres, du « mobilier urbain » en pierre de taille. Pour l’occasion, Robert Stadler a poursuivi sa réflexion sur ledit matériau – en l’occurrence la pierre de Bourgogne – et conçu trois « meubles » tels des monolithes : une table basse, un banc et un miroir (18 000 euros pièce). Ceux-ci ressemblent aux fragments d’un patrimoine antique polis par le temps. Sans doute la table basse fut-elle jadis un morceau de bâtiment, le miroir une colonne, le banc un obélisque… Leur méthode de fabrication est d’ailleurs quasi archaïque : les blocs de pierre sont accolés les uns aux autres, puis taillés pour se fondre dans le gabarit imaginé par le designer, enfin évidés pour, à l’évidence, perdre du poids – il s’agit quand même de mobilier ! Le plus amusant est d’observer les lignes des joints qui se croisent soudain moelleusement par l’effet combiné du hasard et du dessin.

Des meubles contemporains en marbre

En contrepoint, la série « Cut_Paste » (« Couper-coller »), elle, est élaborée de manière inverse à PdT. Pas de soustraction de matière, mais au contraire une addition de matériaux. Pas de gabarits adoucis, mais des sections tranchées net. Pas de volume homogène empêchant l’air – et le regard – de passer, mais des formes « transparentes » à travers lesquelles ces derniers circulent à l’envi. Enfin, point de mélancolie sur l’histoire de l’architecture, mais une contemporanéité assumée. « Cut_Paste » se compose de sept pièces fabriquées notamment à partir d’un procédé dont usent certains architectes pour habiller les façades de leurs bâtiments : le panneau composite. Pour une question à la fois de poids et de coût, il est aujourd’hui courant de ne pas utiliser une large épaisseur de matière, en l’occurrence ici principalement du marbre, mais une « feuille » de quelques millimètres, laquelle est contrecollée sur un panneau nid d’abeille en aluminium, ce qui permet de la rigidifier. Telles des chutes (fictives) récupérées sur un chantier, Robert Stadler use desdits panneaux composites jumelés à des pans pleins pour concevoir des pièces qui sont comme de subtils jeux d’intersections de plans. On pense à des propositions du groupe avant-gardiste batave De Stijl. Outre les plans, se télescopent aussi les matériaux, les couleurs – rose, blanc, noir, beige… – et les motifs. Ces collisions sont heureuses, comme en témoigne cette table basse Cut_Paste n° 7 (26 000 euros pièce), au plateau fait d’un onyx aux somptueuses nuances. La console Cut_Paste n° 1 (22 000 euros pièce) arbore un assemblage à l’équilibre délicat. Dans l’angle droit du plan horizontal, on pourrait croire la coupe simplement décorative. Il n’en est rien. Le morceau, découpé à dessein, vient illico prendre place ailleurs dans la construction pour consolider une situation. Le bar Cut_Paste n° 5 (36 000 euros pièce), lui, se dissimule derrière une splendide paroi conçue en un marbre gris, le Striato Olimpo, dont les veines sont si parallèles qu’on les croirait tracées par l’homme.

Pour en finir avec la métaphore architecturale, on peut enfin évoquer l’honnêteté du matériau « classique », PdT, en regard de l’artifice des matériaux contemporains, Cut_Paste. Une dualité que le designer renverse complètement dans ce double exercice, d’abord grâce à la méthode de l’évidement – les pièces en pierre de taille sont creusées intérieurement sans que cela soit visible –, puis avec la mise à nu des matières contemporaines habituellement soigneusement dissimulées. Bref, Airspace arbore une suite de paradoxes parfaitement maîtrisés, à la hauteur du résultat.

Robert Stadler

Nombre de pièces : 3 pour la série « PdT » et 7 pour la série « Cut_Paste ». Toutes sont éditées à 8 exemplaires 4 épreuves d’artiste.
Prix : de 12 000 à 36 000 €

Robert Stadler, airspace

Jusqu’au 4 avril, Carpenters Workshop Gallery, 54, rue de la Verrerie, 75004 Paris, renseignements 01 42 78 80 92 ou www.carpentersworkshopgallery.com, lundi-samedi, 10h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : L’espace aérien de Robert Stadler

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