Galerie

Les Kienholz, un autre pop art

Par Alexia Lanta Maestrati · L'ŒIL

Le 31 août 2020 - 887 mots

PARIS

La Galerie Templon célèbre la rentrée, à Paris, avec une exposition historique du couple américain Edward et Nancy Kienholz.

Expertises - À l’évocation du pop art, on pense en premier lieu aux œuvres glamour d’Andy Warhol ou aux toiles colorées de Roy Lichtenstein, mais pas toujours à l’esthétique délibérément imparfaite d’Edward (1927-1994) et Nancy (1943-2019) Kienholz, artistes qui ont offert une image violente des États-Unis. La signature de ce couple d’autodidactes se reconnaît dans leurs installations troublantes, souvent de grandes dimensions, faites d’assemblages d’objets, pour la plupart de récupération. En filigrane de ce théâtre de la violence, l’injustice quotidienne faite aux minorités, notamment à la communauté afro-américaine, à l’enfance, au sexisme ou au rôle des médias. Leurs œuvres sont présentes dans les grandes institutions, parmi lesquelles le Musée national d’art moderne à Paris, la Fondazione Prada à Milan ou le Los Angeles County Museum of Art (Lacma), et ont été montrées lors de manifestations majeures, à l’instar de la Documenta 5 à Kassel, en Allemagne, en 1972.

Pourtant, jugées trop violentes, ces œuvres n’ont pas toujours été exposées, boudées par les institutions américaines dans les années 1970, à une époque où « le pays essayait de promouvoir une bonne image de lui et là où il privilégiait d’autres types d’art à la gloire de l’Amérique », rappelle Mathieu Templon, directeur de la galerie du même nom. Désormais seule représentante des Kienholz en Europe, la Galerie Templon propose de redécouvrir, du 5 septembre au 31 octobre, une vingtaine d’œuvres, pour la plupart jamais montrées sur le Vieux Continent. Fruit d’un véritable travail à quatre mains, les œuvres exposées sont tout autant exigeantes que pertinentes, car bien que créées entre 1978 et 1994, date de la mort d’Edward Kienholz, elles sont d’une actualité criante. « Proposer cette exposition aujourd’hui fait sens avec tout ce qui se passe aux États-Unis, notamment les problèmes sociaux et raciaux. Il semblerait que les Kienholz avaient tout prédit », souligne le galeriste.

Questions à… Mathieu Templon, directeur de la Galerie Templon
Vous êtes désormais la seule galerie à représenter l’œuvre des Kienholz en Europe. Comment est née cette collaboration ?

Daniel Templon a découvert le travail d’Edward Kienholz en 1967 à Amsterdam et, depuis, il a toujours souhaité travailler avec le couple. Cela fait cinq ans que je travaille sur le projet. Nous avons collaboré directement avec Nancy, qui est malheureusement décédée en 2019, et avec la galerie de Los Angeles, L.A. Louver Gallery qui s’occupe de l’estate des artistes.

Comment le marché réagit-il à leur travail ?

Les œuvres se vendent en galerie soit par la L.A. Louver Gallery, soit par notre enseigne, et il y a peu d’œuvres sur le second marché. Un grand nombre de leurs créations ont été acquises par des institutions américaines et européennes. Cependant, le fait qu’il y ait eu ce rejet par les institutions américaines d’exposer le couple aux États-Unis, dans les années 1970, a ralenti le marché. Les collectionneurs américains ont mis du temps à s’intéresser à leurs œuvres, ce qui explique que leur travail est encore sous-évalué.

1,2 million €

Galerie Templon Autre œuvre emblématique des plasticiens, The Pool Hall (1993) peut s’avérer difficile à supporter. On y voit une femme assise sur un billard et amputée de sa tête, véritable terrain de jeu des hommes l’entourant. La femme devenue objet et hypersexualisée dénonce le sexisme et l’animosité humaine. Plusieurs œuvres majeures du duo sont engagées dans la cause féministe à l’instar de The Bronze Pinball Machine With Woman Affixed Also, sur la banalisation de la sexualisation des femmes ou The Illegal Operation (1962), en faveur, du droit à l’avortement.


51 000 $ 

Sotheby’s (adjugée en 2008) Avant 1972, Edward travaillait seul, mais toujours avec cette signature identifiable. Moses (1959), réalisée dans la veine de ce qu’il créera avec Nancy, aborde un des thèmes phares du plasticien : la religion. Ici, il fait référence au récit biblique du passage de la mer Rouge, où les Israélites sont symbolisés par des têtes de poupées défigurées. À la Galerie Templon, ce sont six des 98 crucifix de la série des J.-C. de 1994 qui sont montrés. Dénonçant une certaine hypocrisie religieuse, ces assemblages d’objets montrent Jésus avec des mains et des pieds de poupées traversés d’essieux.


640 000 € 

Galerie Templon Exposée à la Fon-dazione Prada en 2016, Jody, Jody, Jody (1993-1994) est l’une des dernières installations que les deux artistes ont créée ensemble. Une nouvelle fois, on y voit l’avant d’une célèbre voiture américaine, une Dodge, un homme à son volant et une petite fille sur le bas-côté. Explorant la thématique de la violence envers les enfants, un sujet récurrent des Kienholz, l’installation est inspirée d’un fait réel datant de 1969 où une enfant âgée de 4 ans fut abandonnée par son père sur une autoroute et retrouvée par un shérif.


2 500 000 $ 

L.A. Louver Gallery (Los Angeles) Vendue lors de la foire new-yorkaise Armory Show, en 2020, Caddy Court (1986-1987) est une œuvre majeure du duo. Cette installation de grand format s’attaque frontalement à la Cour suprême des États-Unis, haut lieu de la justice américaine. La voiture, composée de l’avant d’un van Dodge et de l’arrière d’une Cadillac, arbore une statuette cassée aux yeux bandés symbolisant la justice. Une fois à l’intérieur de ce véhicule hybride mystérieux, neuf animaux naturalisés et habillés de robes de juge, accueillent le spectateur.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°736 du 1 septembre 2020, avec le titre suivant : Les Kienholz, un autre pop art

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