Colloque

Les « Droits d’images » opposent artistes et juristes

Le Journal des Arts

Le 4 février 2005 - 812 mots

Le Centre pour l’image contemporaine Saint-Gervais à Genève a mis en évidence l’incompréhension entre ces deux mondes qui parlent des mêmes interrogations dans des langues différentes.

GENÈVE - Alors que le Centre culturel suisse vernissait l’exposition de Thomas Hirshhorn à Paris, le Centre pour l’image contemporaine de Genève organisait un colloque international rassemblant des personnalités de l’art et du droit pour débattre des « droits d’images ». Pour le directeur du Centre, André Iten, l’évidence de cette rencontre est apparue avec l’affaire qui oppose Gianni Motti à l’AFP depuis 2002. L’objectif affiché était ambitieux, trop peut-être : déterminer, au terme de deux jours de présentations et discussions, ce qui doit et peut être protégé, tout en préservant la liberté d’expression. Au final, de nombreuses interventions intéressantes, quelques règlements de compte personnels et une ébauche de dialogue entre deux mondes qui pensent obstinément que tout les oppose. Pour les artistes, le droit est un « empêcheur de tourner en rond », qui défend des intérêts rétrogrades ou purement économiques ; pour les juristes, la création contemporaine n’est pas de l’art. Mais à bien écouter les uns et les autres, les interrogations sont les mêmes mais énoncées dans des langues différentes.
D’entrée de jeu, Agnès Tricoire, avocate parisienne, lance la polémique, offrant à chacun de se retrancher derrière ses positions : « Le droit d’auteur est devenu une poubelle. » Pourtant, au fil des discussions, celui-ci se révélera finalement le meilleur outil à disposition. Le débat porte essen- tiellement sur l’objet de la protection. Toute cette question se résume dans l’affaire Pinoncelli, citée par différents intervenants. Lors d’une performance au Carré d’Art à Nîmes, l’artiste urine dans l’œuvre Fountain de Duchamp appartenant au Musée national d’art moderne (MNAM), puis la brise. Le musée en tant que propriétaire du support intente alors une action en responsabilité civile, mais les héritiers restent étonnamment silencieux. Édouard Treppoz, maître de conférences à l’université Lyon III, regrette que le ministère de la Culture n’ait pas saisi le tribunal pour abus notoire de non-usage du droit moral. Aurait ainsi été affirmée la volonté du ministère de considérer Fountain comme une œuvre au sens du droit d’auteur, obligeant les juges à se prononcer. Près d’un siècle plus tard, l’œuvre fondatrice de l’art contemporain n’est toujours pas reconnue par les juges comme une œuvre, pire, la doctrine juridique dans sa majorité la rejette. Finalement, il semblerait que personne n’y tienne vraiment… Dans ces conditions, quelle protection juridique pour les créations contemporaines ? Au cours des débats, il est apparu qu’aucun système juridique n’offrait de protection parfaite, ni même les expériences récentes de copyleft (« aucune protection ») menées par les artistes qui utilisent les outils numériques.

Travail de citoyen
Effectivement, la démonstration faite par l’artiste italien Jaromil pour un usage complètement libre des créations d’autrui reste utopique, les artistes devant pouvoir vivre de leur travail. Le sculpteur et photographe Olivier Blanckart propose une solution originale, mais difficilement applicable, pour résoudre les questions liées à l’appropriation : la déchéance de protection pour les images devenues icônes.
Si la protection est essentielle, comment ne pas risquer d’assécher la création en fixant trop de limites ? La censure existe certes, mais ce colloque a mis au jour que les affaires portées devant les tribunaux sont finalement rares. Ainsi, l’une des plus célèbres, celle de l’exposition « Présumés innocents » présentée au capcMusée d’art contemporain de Bordeaux, n’a finalement jamais abouti devant les juges. Ce constat cache un aspect bien plus inquiétant : les cas de censure, voire d’autocensure, sont généralement politiques et les effets bien plus pervers. On l’a vu récemment avec le Centre culturel suisse, qui présente une exposition jugée insultante par le Conseil des États de la Suisse. En représailles, ce dernier, sans autre forme de procès, a réduit le budget alloué à Pro Helvetia, organe officiel de soutien à la création artistique helvétique à l’étranger. Paradoxalement, la loi suisse a été présentée par Christian Pirker, avocat genevois, comme peu contraignante, notamment en vertu d’une surprenante exception culturelle dans le cadre de la pornographie et de la violence. Curieusement, même dans les milieux avertis, les lieux communs sont répandus. Ainsi a-t-on entendu la sociologue Nathalie Heinich vanter les mérites de la censure et se faire la porte-parole du ras-le-bol du public face au « n’importe quoi » de l’art contemporain. Une position difficilement défendable et compréhensible, contre laquelle se sont violemment élevés Olivier Blanckart et la critique d’art et commissaire d’expositions Stéphanie Moisdon.
En conclusion, si le monde de la création doit être mieux préparé aux contentieux juridiques, comme l’a suggéré Christian Pirker, de toute évidence le monde du droit doit apprivoiser l’art contemporain. Et Agnès Tricoire de considérer qu’il s’agit là d’un « travail de citoyen » de la part des juristes.

Le colloque « Droits d’images » s’est déroulé au Centre pour l’image contemporaine Saint-Gervais, à Genève, les 3-4 décembre 2004.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Les « Droits d’images » opposent artistes et juristes

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