La cote à Paris, Monaco, Londres et New York

Les commodes Louis XVI : de 30 000 à 10 000 000 F

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1994 - 1114 mots

La commode naît avec le XVIIIe siècle et dérive à la fois de la table et du coffre : l’adjonction de tiroirs remplit l’espace vacant entre les pieds de la première et remplace avantageusement le couvercle du second.

Ce dernier sera désormais fixe, tandis que l’accès à l’intérieur du meuble s’effectuera par la façade, un aménagement très… commode… d’où le nom adopté pour ce meuble d’un nouveau genre, qui atteindra presque d’emblée son point de perfection.

Les premières commodes connues, celles livrées par André-Charles Boulle pour la chambre du Roi au Grand Trianon, apparaissent à la fois splendides dans leur exécution et archaïques de conception. Mais l’évolution sera rapide. Dès la Régence, les modifications ne porteront plus que sur des détails : nombre et disposition des tiroirs, cambrure ou hauteur des pieds, décor…

Les commodes Louis XVI résument l’histoire des variations de ce meuble. Elles reprennent parfois le type de celles de la Régence avec trois rangs de tiroirs, le premier souvent en deux parties, et des pieds assez bas. Aux commodes Louis XV à deux tiroirs, elles empruntent souvent l’absence de traverse – la façade du tiroir masquant celle-ci –, ce qui permet d’unifier le décor d’ensemble. Mais il existe des commodes spécifiquement Louis XVI que l’on peut regrouper en deux catégories.

La première découle en quelque sorte des époques antérieures avec, en ceinture, un étroit tiroir (parfois en deux ou trois parties) surmontant deux tiroirs plus profonds. Dans ce cas, un ressaut central vient souvent animer la façade du meuble. L’ultime évolution dans ce sens sera la commode "à vantaux" dans laquelle trois portes viendront se substituer aux tiroirs ; l’ouverture de ces vantaux permet de découvrir des étagères, des tablettes coulissantes ou même des tiroirs.

La seconde catégorie permet de regrouper les commodes dites "demi-lune". Celles-ci ouvrent en façade par trois tiroirs ou deux portes, ce corps central étant flanqué, dans les parties arrondies, par de petits tiroirs ou des vantaux. Parfois, les côtés sont simplement munis de tablettes destinées à présenter des objets d’art.

Comment faire la différence ?
La classification qui précède ne rend en fait compte que d’une partie de la réalité. De même que pour la plupart des objets d’art, il en va des commodes Louis XVI comme des chevaux : nul ne s’aviserait de comparer un pur sang à un cheval de labour. Une hiérarchie s’établit donc, tenant tout d’abord à la qualité des matériaux employés – du bois naturel à la laque (européenne, chinoise ou japonaise) –, et à celle du décor de bronze ciselé et doré. Les dimensions des commodes jouent quant à elles un rôle assez faible, moindre en tous cas que les proportions d’ensemble : si les plus petites – elles s’apparentent parfois aux tables "à en-cas" de la seconde moitié du XVIIIe siècle – bénéficient d’une légère plus-value, les commodes les plus majestueuses sont souvent les plus belles. De même, à qualité égale, une paire se vendra toujours mieux que deux commodes prises isolément.

La présence ou l’absence d’une estampille ne devrait en aucun cas obnubiler l’amateur : on connaît de superbes commodes vierges de toute marque et d’autres, de qualité moindre, dûment estampillées. L’éventuel acquéreur gardera aussi à l’esprit qu’il est plus facile d’apposer une signature flatteuse que de réaliser un meuble de qualité…

Les faux
Ceci conduit à parler de l’authenticité, à propos de laquelle les professionnels sérieux pourront utilement conseiller (et apaiser) l’amateur dubitatif. Les faux appartiennent à deux types différents. Il y a les commodes présentant les caractéristiques de celles d’époque Louis XVI, mais qui ont été exécutées postérieurement au règne de l’infortuné souverain, au cours du XIXe siècle ou même à l’époque contemporaine : à leur propos on ne peut parler de faux, mais de meubles "de style". Les faux proprement dits dénotent de la part de leurs auteurs l’intention de tromper, qu’il s’agisse d’un meuble d’époque postérieure vendu comme authentiquement Louis XVI, ou d’un meuble réellement ancien "amélioré" par la suite.

La qualité à partir de 100 000 F
Il reste cependant un grand nombre de commodes Louis XVI en circulation, assez pour que chacun puisse s’en rendre maître si l’envie lui en vient. Pour établir la cote qui suit, nous avons relevé – en nous limitant aux ventes récentes de Paris, Londres, New York et Monaco – les enchères obtenues sur une cinquantaine de commodes Louis XVI, décrites comme telles, reproduites dans les catalogues et caractéristiques des différents niveaux de qualité. Leurs prix varient entre 30 000 francs et 10 millions de francs, ce qui, en soi, ne signifie pas grand chose. Pour tenter d’apporter quelque éclaircissement, il faut préciser. À moins de 30 000 francs, on trouvera un meuble de qualité modeste en bois massif ou plaqué d’acajou, avec des bronzes discrets. De 30 000 à 100 000 francs, les commodes se font plus plaisantes, souvent dans le genre "mobilier bourgeois traditionnel". À partir de 100 000 francs et jusqu’à 500 000 francs, on entre dans la catégorie des commodes de qualité : proportions et décor plaisants, bronzes finement ciselés.

Investissement rentable
À partir de cette limite, s’ouvre le champ des meubles véritablement dignes d’intérêt, champ dont les limites se rétrécissent sensiblement à partir du million de francs : il s’agit là de commodes prestigieuses, d’une grande qualité d’exécution et auréolées le plus souvent de flatteuses provenances. Le fin du fin en ce domaine reste bien évidemment une origine royale.

L’acheteur soucieux de l’évolution future de son patrimoine doit tenir compte de ces facteurs. Il sera sage de n’envisager aucune plus-value sur les commodes "bas de gamme" : leur prix stagne depuis des années et leur valeur – exprimée en francs constants – a donc diminué. De plus, ces meubles ne justifient pas toujours d’engager des frais de restauration, souvent hors de proportion avec leur valeur réelle. À l’inverse, à l’autre extrémité de l’échelle de prix, les commodes d’exception ne s’adressent qu’à un public restreint ; en revanche leur raréfaction – du fait des ponctions effectuées par les musées – peut laisser espérer une intéressante rentabilité de l’investissement initial.

Mais c’est à propos des meubles de qualité moyenne qu’il est le plus difficile de se livrer à des projections dans le temps : par définition, ces objets sont en nombre fini, tandis que la demande risque de croître. Cependant d’autres facteurs – la mode par exemple – peuvent interférer… Enfin, il convient de rappeler qu’il n’existe pas à proprement parler de collectionneurs dans le domaine du mobilier : pour des raisons évidentes de manque d’espace, les achats de meubles ont pratiquement toujours un but d’ordre utilitaire. Or, les commodes sont… commodes… et sans doute faut-il voir là le gage le plus certain de leur bel avenir…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Les commodes Louis XVI : de 30 000 à 10 000 000 F

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque