Vente aux enchères

Les attributions du Conseil des ventes s’élargissent

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 12 mai 2009 - 1423 mots

La justice et le législateur viennent d’étendre les compétences du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques dans les domaines des ventes en ligne et de la lutte contre le blanchiment.

Il y a deux ans, on se demandait pourquoi Christian Giacomotto, le président du CVV [Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques] s’échinait encore à défendre des SVV [sociétés de ventes volontaires] qui semblaient pour la plupart n’avoir rien appris de la réforme ni rien oublié de l’âge des commissaires-priseurs. Des circonstances récentes conduisent à nuancer cette interrogation.

Les juges balisent les enchères sur Internet
La cour d’appel de Paris a confirmé le 8 avril 2009 la condamnation par la chambre correctionnelle du TGI [tribunal de grande instance] de Paris (2 juillet 2008) d’une société organisant des ventes sur Internet en utilisant la plate-forme d’enchères du site eBay. Ce faisant, elle a hissé au rang de jurisprudence la décision du TGI, qui avait dû faire le tri entre de multiples griefs, le ministère public ayant ratissé large compte tenu des incertitudes réglementaires. Après avoir écarté les incriminations de refus de présentation du livre de police et de publicité mensongère, le TGI avait retenu – ce qui intéressait principalement le CVV – l’organisation de vente volontaire de meubles aux enchères publiques par une société non agréée. Il avait condamné sur ce motif la société organisatrice et ses associés de droit ou de fait, et reçu le CVV dans sa constitution de partie civile.
Les peines prononcées sont certes modérées, mais le principe est affirmé et, si eBay n’est pas directement touché, c’est l’utilisation de sa plate-forme d’enchères qui est mise en cause, non seulement pour les biens culturels mais également pour tout autre objet d’occasion.
Tant que la cour d’appel de Paris, par ailleurs juridiction de recours contre les décisions du CVV, ne s’était pas prononcée, l’issue paraissait incertaine. En effet, la cour pouvait remettre en cause la décision en déniant aux opérations effectuées sur eBay le caractère de ventes aux enchères, ravalant ainsi les enchères électroniques à des opérations de courtage. Elle aurait pu écarter l’obligation d’agrément du CVV en l’absence de publication du décret d’application censé définir les biens culturels concernés.
Pour confirmer le jugement, la cour d’appel est donc allée plus loin, en rappelant « que l’article L. 321-3 du code de commerce précise que le fait de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un bien aux enchères publiques à distance par voie électronique pour l’adjuger au mieux-disant des enchérisseurs constitue une vente aux enchères publiques ». Elle a ajouté que « les biens visés […], dont ni l’ancienneté ni la valeur ne sont précisées, n’ont pas fait l’objet d’un courtage mais d’une vente aux enchères publiques par l’intermédiaire d’un tiers ». Elle a relevé enfin « que les enchères électroniques, bien qu’elles subissent des exigences techniques spécifiques, présentent les mêmes caractéristiques que les enchères classiques ; qu’à la fin de la période fixée, il n’est plus possible de faire de nouvelles offres et c’est l’auteur de la dernière et meilleure offre dite “le meilleur enchérisseur” qui doit être déclaré adjudicataire », précisant ensuite que « les conditions d’utilisation du site eBay auxquelles [la société incriminée] a acquiescé confirment […] l’obligation de conclure la transaction » avec le meilleur enchérisseur.
Pour confirmer la condamnation, la cour d’appel relevait que « c’est bien [la société poursuivie] qui organise le déroulement des enchères et détermine le délai d’enchérissement […], prend totalement en charge l’opération de vente pour le compte du vendeur qui ne connaît qu’elle et qui n’a aucun doute sur le fait qu’il s’adresse à un site de vente aux enchères, détermine toutes les modalités de vente dont les conditions de l’adjudication, qui est simplement sous-traitée à eBay mais dont elle conserve la maîtrise ».
En acceptant que se constitue partie civile le CVV « chargé du contrôle et de la surveillance du marché des ventes volontaires… » et en soulignant que « seul le conseil des ventes […] a pour mission de [le] préserver… », la cour d’appel rappelle sa légitimité.
In fine, eBay n’est pas condamnable, mais les « drop off stores » [dépôt-vente en ligne] ou assimilés utilisant sa plate-forme d’enchères le sont. Une brèche est ouverte, que la cour d’appel délimite cependant nettement : seuls les professionnels agissant comme mandataires des vendeurs sont concernés. Les vendeurs qui opèrent pour leur propre compte ne le sont pas. De sorte que l’affaire a clairement circonscrit un domaine jusqu’alors incertain, en désignant les possibles abus sans plomber l’usage des réseaux. La tâche du CVV devrait s’en trouver grandement facilitée.
Le CVV hérite du blanchiment
Paradoxalement, le CVV, gardien du « modèle français », devra peut-être à l’Europe sa pérennité. Déjà en 2008, la transposition par ordonnance d’une directive européenne de 2005 portant sur la reconnaissance des qualifications professionnelles avait étendu les missions du CVV à la collaboration avec les autres États membres pour en faciliter l’application (art. L. 321-18 4° du code de commerce. Ordonnance no 2008-507 du 30 mai 2008).
Une ordonnance du 30 janvier 2009, transposant deux autres directives européennes de 2005 et 2006, attribue au CVV la mission additionnelle de contrôler le respect par les SVV de la réglementation relative au blanchiment.
L’article L. 321-18 du code de commerce est désormais complété par un 5e alinéa donnant mission au CVV « de vérifier le respect par les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques de leurs obligations prévues par le chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en se faisant communiquer, dans des conditions fixées par décret pris en Conseil d’État, les documents relatifs au respect de ces obligations ».
Après septembre 2001 et plus encore depuis la crise financière de l’automne 2008, cette mission – et les pouvoirs d’investigation qui l’accompagneront – est loin d’être anodine.
Certes le financement du terrorisme et le blanchiment des produits des grands trafics internationaux n’utilisent probablement le marché de l’art que de manière marginale. Mais la crise financière, en conduisant les gouvernants à inclure dans leurs discours – et leurs prévisions de comblement des déficits publics – la lutte contre les paradis fiscaux, les pratiques off shore, l’évasion et la fraude fiscale (moyens notamment utilisés par les bénéficiaires désormais honnis des bonus, stock-options et autres retraites chapeaux) élargit la perspective.
Si le marché de l’art était déjà inclus dans le périmètre de contrôle du blanchiment depuis 2001, l’attribution formelle au CVV de la compétence de contrôle le fait accéder à un niveau de contrôle et de régulation beaucoup plus contraignant pour les SVV. Il suffit de rappeler que Tracfin [Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins] est une émanation des Douanes.
Le CVV s’est déjà penché sur la question en publiant des informations sur son site (lire ci-contre) et en incluant dans son code de déontologie de 2004 des recommandations. Il a adressé récemment aux SVV un document de synthèse de Tracfin permettant l’identification des opérations suspectes.
Dans la transposition de la directive sur la libre prestation de services, qui devra redéfinir le rôle du CVV, ces acquis judiciaires ou réglementaires représentent autant de bonus pour son bouillant président.





CA Paris 9e ch. sect. B, 8 avril 2009 no 08/08/08154. TGI Paris, 31e ch., 2 juil. 2008. Ordonnance no 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. J.O. du 31 janvier 2009.

Communiqué du site Internet du CVV

L’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 renforce le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme en modifiant le code monétaire et financier (CMF). Les SVV sont assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment (art. L. 561-2 du CMF), sous le contrôle du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (art. L. 561-36 du CMF). Ces obligations consistent notamment en l’identification du client, l’examen renforcé de toute opération complexe ou inhabituelle et la déclaration des « opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme », déclaration qui doit être faite à Tracfin, cellule française de lutte anti-blanchiment qui dépend des ministères de l’Économie, des Finances et de l’Emploi ainsi que du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique.

Extrait du code de déontologie édité par le CVV en 2004

Obligations découlant de la lutte contre le blanchiment de l’argent « sale » :

Les transactions sur les œuvres et objets d’art peuvent constituer un moyen de blanchir l’argent retiré d’activités illicites. La lutte engagée par l’ensemble des États membres de la Communauté européenne contre ce phénomène a conduit le législateur français à prendre, conformément à des directives communautaires, des dispositions impliquant l’ensemble des professionnels du marché de l’art. Le Conseil attire tout particulièrement l’attention des SVV et des experts agréés sur les dispositions de la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 portant sur les nouvelles régulations économiques et notamment sur les dispositions de cette loi qui ont été codifiées aux articles L. 562-1 et suivants du code monétaire et financier. Ces articles imposent « aux personnes se livrant habituellement au commerce ou organisant la vente de pierres précieuses, de matériaux précieux, d’antiquités et d’œuvres d’art » (article L. 562-1, 9°) de déclarer « les sommes inscrites dans leurs livres qui pourraient provenir du trafic de stupéfiants ou d’activités criminelles organisées », ainsi que « les opérations qui portent sur des sommes qui pourraient provenir » des mêmes trafics et activités criminelles (article L. 562-2, 1° et 2°) au service du ministère de l’Economie et des Finances créé à cette fin (cellule Tracfin). Extrait situé en page 13, § c)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°303 du 16 mai 2009, avec le titre suivant : Les attributions du Conseil des ventes s’élargissent

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