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ART MODERNE ET CONTEMPORAIN

Le tour des galeries de New York - octobre 2021

Par Barthélemy Glama, correspondant à New York · Le Journal des Arts

Le 22 octobre 2021 - 1020 mots

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Grandes figures de l’art américain, déconfinement et tensions de société se côtoient dans les expositions de cette rentrée à Manhattan et Brooklyn.

Stephen Morrison, Dog Show #1 : The Dinner Party, 2021, installation au centre d'art The Invisible Dog. © S. Morrison / The Invisible Dog
Stephen Morrison, Dog Show #1 : The Dinner Party, 2021, installation au centre d'art The Invisible Dog.
© S. Morrison / The Invisible Dog

New York. Aussitôt entré dans la grande salle de The Invisible Dog (Brooklyn), on est happé par l’univers ironique et baroque créé par Stephen Morrison : au centre, une large table déborde de boissons et de victuailles ; au plafond, de grands lustres de cristal ; aux murs, des peintures à n’en plus finir ; et, tout autour, tenant lieu d’invités, seize chiens à taille humaine, en bras de chemise, dormant, festoyant ou chahutant gaiement. Dog Show #1 : The Dinner Party (2021) est la première installation d’envergure de ce jeune artiste âgé de 31 ans qui s’est fait une spécialité des images anthropo-canines. Immersive et joyeuse, elle est une forme d’ode au déconfinement : elle invite à tout sauf à la distanciation sociale.

La distanciation sociale, en revanche, habite les grandes photographies de Tyler Mitchell présentées à la galerie Jack Shainman (Chelsea). Formant la série « Dreaming in Real Time » (2021), celles-ci mettent en scène de jeunes Afro-Américains pique-niquant dans les près, nageant dans les lacs et se promenant sur les plages de Géorgie (États-Unis), d’où l’artiste de 26 ans est originaire. Le Covid l’a empêché de retourner dans cet État du Sud auquel il s’est soudain pris à rêver : nimbées de silence et frappées de solitude, ces images jettent un regard émouvant sur la douleur de l’éloignement et le besoin du retour aux sources.

De grands noms de l’art moderne américain

Alice Neel est à l’honneur chez David Zwirner (Chelsea), son galeriste historique. L’exposition se concentre sur les premières décennies (1930-1950) de la longue carrière d’une artiste qui aura profondément marqué sa génération. On découvre, au gré des peintures et des dessins (il y en a deux, poignants : une mère à l’enfant et une nature morte urbaine), la vie dans le Spanish Harlem (le quartier hispanique) de la Grande Dépression (dans les années 1930) et l’intimité d’une vie de famille marquée par le drame : la mort de sa première fille, l’hospitalisation de la seconde, puis encore la mort, celle de son père.

Tom Doyle a lui aussi grandi dans les paysages dévastés de la Grande Dépression. L’Amérique est au cœur de son œuvre, qui a cherché à appliquer à la sculpture les principes de l’expressionnisme abstrait. L’infatigable Gwénolée Zürcher (Zürcher Gallery, SoHo) présente une très belle sélection de dix pièces réalisées en 1964 et 1965 lors d’un séjour en Allemagne qui aura permis à l’artiste de considérer l’histoire de son pays d’un œil neuf. Batailles de la guerre de Sécession, héros folkloriques et lieux symboliques de la république américaine se croisent dans ces impressionnantes structures métalliques, polychromes et aériennes. La galeriste verrait bien les quatre plus grandes, Sedentary Taurus (1965), Swallows Swoop Shiloh (1965), Shenandoah (1964-1965) et Rally Al Round (1964), rejoindre les collections d’un grand musée d’art moderne américain ; elles le mériteraient.

Le peintre Ron Gorchov, décédé l’an dernier, est lui aussi une grande figure de l’expressionnisme abstrait. Présenté dès 1960 au Whitney Museum of American Art, à New York, il se fait remarquer dans les années 1970 pour ses peintures incurvées, en forme de bouclier ou de selle. Vito Schnabel (Chelsea) en montre en ce moment un certain nombre, peintes entre les années 1970 et 2010, dans une solide rétrospective qui évoque leur influence sur toute une génération de jeunes artistes.

Chez Pace (Chelsea), trente peintures de Robert Rauschenberg réalisées entre les années 1980 et les années 2000 mettent l’accent sur la réponse de l’artiste face à l’émergence d’une culture mondiale de masse. Après dix ans loin des pinceaux, Rauschenberg était revenu au médium avec une approche radicalement nouvelle, mêlant photographie, gravure et sculpture. Ces œuvres de grande taille, rarement vues jusqu’ici, prennent souvent la forme du collage pour poser la question de la transformation de nos modes de consommation et de notre rapport aux images.

L’Amérique face à ses mythes

Toujours chez Pace, deux étages plus haut dans l’imposante tour que possède la galerie à Chelsea, c’est Robert Longo que l’on découvre. Dans sa série « Destroyer Circle » (2021), l’artiste questionne la fabrique du mythe américain. À travers six fusains de grand format qui évoquent tour à tour le changement climatique, la prise du Capitole le 6 janvier dernier, la pandémie ou encore le mouvement Black Lives Matter, il se fait le messager d’un pays en crise. Au centre, un polyèdre en acier inoxydable reflète l’exposition sous des angles inédits : intitulé Dürer’s Solid (2021), il fait écho à une version de Melancolia I (1514) de Dürer accrochée à l’entrée, censée guider la réflexion du visiteur.

En mai 1978, Jean-Michel Basquiat et son ami Al Diaz commencent à recouvrir les immeubles de Lower Manhattan de leurs célèbres graffitis. Réunis sous un pseudonyme commun, SAMO (« Same old shit »), ils inventent toute une série de phrases courtes qui moquent de manière poétique les slogans publicitaires de l’époque. Peu d’images nous sont parvenues de ce moment décisif dans la carrière des deux artistes, si ce n’est quelques photographies récemment retrouvées. Al Diaz s’en est ressaisi dans de grandes toiles qui racontent l’histoire fascinante de leur duo d’adolescents en quête d’aventures. Présentées chez Van Der Plas (Lower East Side), elles font émerger une troublante correspondance entre les combats de la contre-culture des années 1970 et ceux de l’Amérique d’aujourd’hui, secouée par un an de crises.

Les années 1970 et les questions de justice sociale sont aussi au centre de l’exposition qu’Hauser & Wirth (Chelsea) consacre à Philip Guston. Dix-huit œuvres, peintes entre 1969 et 1979, témoignent du moment où l’artiste s’est détourné de l’abstraction pour développer un nouveau langage figuratif, à la fois onirique et cartoonesque. Six d’entre elles, notamment, mettent en scène de petits fantômes occupés à d’ennuyeuses tâches quotidiennes, dont le costume n’est pas sans rappeler le capuchon du Klu Klux Klan. Ce sont la violence et les luttes pour les droits civiques imprégnant la société américaine de ces années-là qui lui ont inspiré ces réflexions visuelles sur la banalité du mal. On en pleure et on en rit tout à la fois.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°575 du 15 octobre 2021, avec le titre suivant : Le tour des galeries de New York

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