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Comment les galeries new-yorkaises se réinventent

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

À New York, une année de crise sans précédent a particulièrement secoué les galeries et les a amenées à réévaluer leur rôle, leurs priorités et leurs modes de fonctionnement

Les galeries new-yorkaises sortent de l’une des périodes les plus difficiles de leur histoire. La crise sanitaire a imposé l’arrêt brutal de leur activité et la crise économique a fait peser d’immenses menaces sur leur avenir. Au cours de l’année passée, galeristes et marchands ont pris conscience que, pandémie ou non, le secteur devait faire sa mue et se réinventer.

Richard Taittinger, qui possède une galerie dans le Lower East Side, se souvient : « On a tous été surpris par l’arrêt brutal de la mi-mars, on était sous le choc. » Quelques jours avant le début du premier confinement, en mars 2020, la foire Armory Show battait encore son plein, avec un peu de gel et quelques saluts du coude mais sans masque ni beaucoup de distanciation. Soudainement, les galeries se retrouvent avec des espaces fermés dont il faut encore payer les loyers (ce qui représente parfois jusqu’à 40 % de leur budget) et une activité en berne. Le rapport annuel Art Basel/UBS sur l’état du marché de l’art estime à 36 % la chute du chiffre d’affaires mondial du secteur à cette période. À New York, c’est pire : « On a frôlé les 65 % à un moment », commente Sean Kelly, propriétaire d’une galerie dans le tout nouveau quartier de Hudson Yards.

« Rapidement, il faut organiser toute la structure à distance », poursuit Richard Taittinger, qui conserve l’ensemble de son équipe lorsque nombre d’entreprises new-yorkaises annoncent la mise en congé sans solde de leurs collaborateurs : « Nous nous consacrons au second marché, nous faisons travailler les réseaux à fond et nous réalisons quelques “deals ”intéressants. » De nouvelles pratiques se mettent en place pour continuer à maintenir le secteur à flot. Kate Werble, galeriste de l’Upper East Side, imagine un service d’abonnement : les collectionneurs choisissent un groupe de trois œuvres uniques de trois artistes différents qu’ils reçoivent sur quatre mois chez eux pour 500 dollars (415 €) mensuels. « Cela me permet de rester en contact avec les artistes et les clients », explique-t-elle. Dix mois plus tard, Kate Werble a vendu la plupart des 45 groupes qu’elle avait mis en vente.

Pour remplacer son édition de Hongkong qui devait avoir lieu du 19 au 21 mars 2020, Art Basel lance ses premières « salles d’exposition en ligne ». La plupart des grandes galeries new-yorkaises suivent le mouvement et adoptent le modèle des expositions virtuelles pour compenser la fermeture de leurs espaces. Les galeries plus petites ont parfois plus de difficultés à développer de tels outils, mais des initiatives se mettent en place : David Zwirner, l’un des plus importants galeristes de la ville, lance « Platform : New York » dès la fin mars pour permettre à douze consœurs plus modestes de présenter leurs expositions sur son site.

Ceux qui prennent le virage de l’espace en ligne y voient alors certains avantages : « Nous avons pu atteindre de nouveaux publics dans le monde entier », commente-t-on chez Pace, un autre géant du secteur qui envisage de continuer à utiliser ces outils. Pour sa première exposition virtuelle, un solo show de l’artiste Maria Qamar, jeune Pakistano-Canadienne star des réseaux sociaux, Richard Taittinger profite quant à lui du nouveau format pour organiser un vernissage simultané à New York, Mumbai, Londres et Tokyo, ceci entièrement sur la plateforme Zoom. 20 000 visiteurs se pressent sur son site le premier jour et un tiers des œuvres sont vendues. Il y voit un symbole : « Le monde de l’art d’avant le Covid devait changer. Le Covid nous donne l’occasion de mettre en pratique les idées que nous avions déjà. »

« Soyons là où sont nos clients »
Si New York reste l’épicentre du marché mondial de l’art, les galeries n’hésitent plus à sortir de Manhattan pour suivre les collectionneurs. À l’été 2020, Pace puis Per Skarsedt ouvrent des locaux dans les Hamptons, lieu de villégiature balnéaire prisé de l’élite new-yorkaise où se sont installées un certain nombre de grandes fortunes au début de la crise sanitaire. Ils sont bientôt rejoints par cinq autres marchands dans ce qui commence à former un petit « gallery district » dans la ville d’East Hampton. Anticipant le fait que certains acheteurs pourraient passer l’hiver en Floride, Marc Glimcher, président de Pace, se transporte également à Palm Beach. Beaucoup de collectionneurs du Top 200 du site ArtNews y possèdent une résidence et le marché de l’immobilier de luxe y est alors en pleine expansion.

« Soyons flexibles. Soyons là où sont certains de nos clients », résume Dominique Lévy, cofondatrice de la galerie Lévy Gorvy. En décembre dernier, elle installe elle-même un « pop-up », ou présentation temporaire, à Miami (Floride), dans le Design District où cinq autres galeries new-yorkaises la rejoignent, puis en ouvre un autre à Palm Beach en janvier : « Cela me fait penser au cirque ; on ne se déplace pas pour aller au cirque, c’est le cirque qui vient à vous, et c’est différent à chaque fois. » Le même mois, elle investit également Aspen, station de ski huppée du Colorado, pour deux semaines. Lehmann Maupin y avait déjà lancé son pop-up en août 2020, avec un certain succès : « On a tout de suite senti que cela serait le modèle à suivre : apporter les œuvres dans des régions qui ont de grosses communautés de collectionneurs », commente Carla Camacho, la directrice des ventes.

Avec la révolution du pop-up, les galeries repensent leur rôle. Quand les grandes foires virtuelles peinent à séduire, elles maintiennent la rencontre physique entre les œuvres et les collectionneurs. Pour Steve Henry, directeur de la galerie Paula Cooper, cela montre qu’« il y a une limite aux salles d’exposition en ligne ». Carla Camacho ajoute : « Les collectionneurs ont très souvent besoin d’un événement ou d’une exposition pour s’enthousiasmer. »

Les expositions virtuelles comme les pop-ups montrent que l’accessibilité est aujourd’hui au cœur des réflexions des galeristes new-yorkais. Pour certains d’entre eux, c’est d’ailleurs ce qui explique le succès des « non-fungible tokens » [« jetons non fongibles »] ou « NFT » : ils facilitent les échanges et promettent davantage de transparence. Pace vient de recruter sa première directrice des ventes en ligne et se prépare à accepter les cryptomonnaies pour les œuvres physiques dès cet automne. Pour Richard Taittinger, cet outil permet notamment d’« ouvrir les portes à la nouvelle génération, qui n’adhère pas aux codes traditionnels de l’art ». Les NFT viennent accélérer les grandes transformations du secteur, qui couvaient depuis quelque temps : « La façon de communiquer change, la technologie évolue, la diffusion augmente. On n’en est qu’au début. »
 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°567 du 14 mai 2021, avec le titre suivant : Comment les galeries new-yorkaises se réinventent

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