Musée

Le Museum für Gestaltung à Zurich

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 22 mai 2018 - 1304 mots

Après trois années de travaux, le plus grand musée du design et de la communication visuelle en Suisse a rouvert ses portes à Zurich.

Sis dans la capitale économique helvète, le Museum für Gestaltung (MfG) a désormais deux têtes : l’une en plein centre-ville, au bord de la Limmat, la rivière qui irrigue la cité ; l’autre à l’ouest de la ville, dans les quartiers branchés. À elles deux, elles constituent tout simplement le plus grand musée du design et de la communication visuelle en Suisse. Jugez-en plutôt : un fonds de plus de 500 000 pièces, de 1875 à nos jours, composé de quatre collections distinctes (design, arts graphiques, affiches et arts décoratifs). Une poignée de kilomètres seulement séparent les deux sites, si bien que l’on peut indifféremment commencer la visite par l’une ou l’autre adresse, selon sa situation du moment ou selon ses envies.

La maison mère

La première (Ausstellungsstrasse 60), baptisée « maison mère », a rouvert au public le 3 mars, après trois ans de travaux d’un coût de 17 millions de francs suisses, dans un édifice classé du patrimoine zurichois, érigé en 1933 par le duo Adolf Steger et Karl Egender et aujourd’hui entièrement rénové, l’ancien Kunstgewerbemuseum [« Musée des arts appliqués »]. C’est une sorte de retour aux sources donc, au sein d’un chef-d’œuvre de style Neues Bauen, équivalent, peu ou prou, du « Bauhaus suisse ». À l’intérieur, ce bâtiment sobre et élégant a ainsi retrouvé sa physionomie d’origine et, en particulier, son espace phare, le grand hall, lequel retrouve sa double hauteur originelle. Désormais dévolu aux présentations temporaires, il accueille d’ailleurs, en guise d’exposition inaugurale, une vaste monographie sur le trio de designers atelier oï. On trouve également, au rez-de-chaussée, une boutique et un café. À l’étage, outre l’auditorium, s’exhibent, dans une vaste salle qui dessert les bureaux et l’atelier pédagogique, quelque quatre-vingts affiches, lesquelles feront l’objet d’un roulement régulier. Non loin, donnant sur le grand hall central, a été aménagé un Swiss Design Lounge. Traduction : une série de salons cosy constitués de meubles fournis par des fabricants suisses, que les visiteurs pourront éprouver à l’envi.

Outre le grand hall, le sous-sol a lui aussi été réaménagé. Y ont été créées deux nouvelles salles, dont le but est de montrer, et c’est une première, les « joyaux » de la collection. Pour cette fournée introductive, quelque 2 000 pièces ont été sélectionnées. Dans la première salle, le visiteur découvrira une série de vitrines, podiums et autres tiroirs qui donnent un aperçu succinct de chacun des quatre volets du fonds. Mêlant graphisme, textile, packaging, mobilier et produits, la présentation s’intitule « Collection Highlights » et consiste en une sélection d’« objets du quotidien, qu’ils soient beaux, utiles ou insolites ». Dans la seconde salle, une scénographie intitulée « Habitat idéal » déploie, sous forme de Period Rooms (sept au total) quelques « rêves d’ameublement du XXe siècle », en l’occurrence des meubles (suisses) datant de l’époque de la Réforme (1918) jusqu’à la période minimaliste (1985).

L’entrepôt d’expositions

En une dizaine de minutes – une demi-heure, si l’on préfère la marche –, l’efficace tramway n° 4 vous conduit, sans changement, de l’arrêt Museum für Gestaltung (juste en face du musée, après avoir traversé le Klingenpark) jusqu’à l’arrêt Toni-Areal, dans une zone en plein développement de Zurich-Ouest. Le changement s’amorce dès l’arrivée devant le monumental édifice du Toni-Areal justement, ancienne plus grande usine européenne de production de yaourts où est installée depuis 2014 la seconde antenne du MfG (Pfingstweidstrasse 96).

Changement d’échelle à l’extérieur d’abord, car fini l’esthétique années 1930, place au look industriel revisité. Changement d’échelle à l’intérieur ensuite, car cette entité, baptisée à dessein Schaudepot (« entrepôt d’expositions »), comprend surtout, outre des salles d’expositions temporaires, les imposantes réserves du MfG, autrement dit 3 700 m2 de hauts rayonnages répartis sur deux niveaux, lesquels permettent d’admirer de près (via des visites guidées sur réservation) les plus de 500 000 objets de la collection. Une véritable caverne d’Ali Baba ou plutôt quatre cavernes, une pour chaque domaine. Ainsi, le fonds « design » compte-t-il environ 25 000 objets produits en série, datant du XXe siècle à nos jours. Celui d’« arts décoratifs », 15 000, signés de William Morris à Sophie Taeuber-Arp, en passant par Hermann Obrist ou Henry Van de Velde. La section « graphisme », elle, se concentre sur l’Europe. Tandis qu’avec quelque 350 000 pièces au compteur, ciblant notamment des pays comme les États-Unis, le Japon, Cuba, l’ex-Union soviétique ou… la Suisse, la collection « affiches » est réputée être l’une des premières au monde.

Cerise sur le Schaudepot : une troisième adresse, virtuelle cette fois (www.eguide.ch), permet au visiteur d’approfondir chez lui l’expérience muséale, grâce à une sélection de textes, de photographies et de vidéos. En clair : le design sur un plateau et… dans un fauteuil.

Museum für Gestaltung, Ausstellungsstrasse 60 et Pfingstweid-strasse 96, Zurich (Suisse). Du mardi au dimanche, de 10 h à 17 h, le mercredi jusqu’à 20 h. Tarifs : 6 à 10 €. www.museum-gestaltung.ch

« Collection Highlights »
jusqu’au 31 décembre 2019. Tarifs : 8 et 10 €. www.museum-gestaltung.ch

 

L'euphorie des matières
Belle joueuse, la Suisse alémanique invite, pour l’exposition inaugurale, la Suisse romande, en l’occurrence les trois designers Aurel Aebi, Armand Louis et Patrick Reymond, alias atelier oï, fondé il y a 27 ans. Le trio investit le grand hall du Museum für Gestaltung, dans lequel ils ont imaginé une scénographie cousue main. Ainsi, la double hauteur recouvrée leur a permis d’accrocher trois immenses « objets aériens » : Minoshi, des fleurs blanches en washi (papier japonais), Brindilles, des branches en minces baguettes de bois reliées par de fines bandes de tissu, et Hélicoïdales, de grandes spirales faites de minces lamelles de pin. Mobiles, ces trois installations exploitent les plus infimes courants d’air pour se mouvoir, dont ceux provoqués par le déplacement des visiteurs. Dans les deux bas-côtés, se déploient une multitude de projets montrant les différents registres d’atelier oï : produit de masse, série limitée, pièce unique, architecture… L’ensemble s’intitule « Oïphorie ».
Ch. S.
 
« Oïphorie : atelier oï »
jusqu’au 30 septembre 2018. Museum für Gestaltung, Ausstellungsstrasse 60, Zurich (Suisse). Du mardi au dimanche, de 10 h à 17 h, le mercredi jusqu’à 20 h. Tarifs : 8 et 10 €. www.museum-gestaltung.ch
Graphisme
Adrian Frutiger (1928-2015) est, à n’en point douter, l’une des figures clés de la création typographique helvète. On pense, en particulier, à l’Univers (1957), première famille de caractères dans laquelle toutes les séries sont systématiquement accordées et harmonisées. En 1970, le graphiste dessine le caractère Roissy (rebaptisé six ans plus tard… Frutiger), destiné à l’aéroport éponyme. Principal critère ayant guidé le dessin de ce caractère : la reconnaissance immédiate.
Arts décoratifs
Pour la pièce König Hirsch [« Le Roi-Cerf »], mise en scène, à l’époque, dans l’optique d’un futur Schweizerisches Marionettentheater à Zürich, Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) conçoit une troupe de personnages étranges d’une abstraction radicale. Dessinés à partir de formes élémentaires tels le cylindre, le cône ou la sphère, les corps géométriques de ces marionnettes peuvent ainsi déployer une gamme de mouvements inattendue, proche de la danse.
Design
On le trouve dans quasiment tous les supermarchés de la Confédération : l’épluche-légumes Rex, imaginé en 1936, par un bricoleur inventif, Alfred Neweczerzal (1899-1959). Sa création est l’incarnation même du produit industriel démocratique : forme ergonomique parfaite (sa popularité repose, en premier lieu, sur sa bonne prise en main), fabrication simple et économe (pratiquement inchangée depuis 1947), efficacité et bon marché (moins de 2 francs suisses). Bref, une réussite !
Affiches
Certes, c’est une affiche restée à l’état de projet, datant de 1960 : celle de Josef Müller-Brockmann (1914-1996), intitulée Weniger Lärm (« Moins de bruit »), une commande de l’Automobile Club de Suisse. Un « bolide » et un titre inclinés à la diagonale. Le graphiste use d’un photomontage dynamique et percutant en vue d’une campagne de prévention des accidents de la route et de lutte contre les nuisances sonores. Mais son message est trop équivoque et il n’aboutit pas.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°713 du 1 juin 2018, avec le titre suivant : LE MUSEUM FÜR GESTALTUNG À ZURICH

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