Art contemporain

Le marché s’emballe

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2006 - 1075 mots

La Foire de Bâle a confirmé le boom actuel. Face à une demande exponentielle,
la majorité des ventes se sont conclues bien avant le vernissage.

 BALE - Le marketing de la foire d’art contemporain de Bâle, Art Basel, est si bien ficelé qu’il suscite un réflexe pavlovien : « Bâle = excellence = ventes ». Si les transactions ont été explosives, du 13 au 18 juin, nonobstant la chute récente des cours de la Bourse, l’art s’est révélé plus inégal. De prime abord, le cru exceptionnel d’« Art Unlimited » et quelques bons « Art Statements » laissaient présager le meilleur après leur vernissage, le 13 juin, la veille de celui du reste du salon. Le premier secteur a fait la part belle aux performances avec les vidéos accompagnées de leurs décors, Tumble Room, de Martin Kersels, et Vas-y, de John Bock. L’installation de Clemens von Wedemeyer dans la section « Statements » faisait aussi croire aux traces d’une action, réelle ou fictive. Présentée par Jocelyn Wolff (Paris), cette œuvre a rejoint la collection d’Antoine de Galbert. D’autres pièces d’« Art Unlimited » ont joué sur l’effacement, notamment la superbe installation de Michel François dominée par un aigle en liquéfaction. C’est à la dilution de l’information qu’a fait référence l’hypnotique rideau d’eau et de mots de Julius Popp, réservé une semaine avant le vernissage – vraisemblablement par François Pinault. Le magnétisme l’a disputé à la claustrophobie dans Infinities, de Kader Attia, chambre tapissée de miroirs réfléchissant des vrilles en lente rotation. La pièce a fait l’objet de deux options, l’une d’Elena Geuna, conseillère de François Pinault, l’autre d’un collectionneur américain.

« Not for you »
L’avant-goût prometteur d’« Art Unlimited » ne s’est pas confirmé sur la foire. « Il y a plus d’argent que d’œuvres », nous a confié le collectionneur britannique Frank Cohen. On y a retrouvé les grands noms, les gros prix aussi – tel celui insensé de 300 000 dollars (237 350 euros) exigés par Zwirner (New York) pour un petit diptyque de Lisa Yuskavage –, mais pas nécessairement les bonnes pièces. Certes, le rez-de-chaussée moderne a gardé la tête haute avec de nombreuses pépites comme un petit Tanguy chez Helly Nahmad (New York) ou une sculpture de Tom Wesselmann chez Marwan Hoss (Paris). L’étage contemporain a davantage suscité la moue. Fief habituel du premier marché, il a été rattrapé par le second marché avec des œuvres confiées par des collectionneurs. « Les gens profitent de la foire pour vendre, comme ils le font dans les ventes publiques à New York ou à Londres », observe le courtier Philippe Ségalot. Faute d’un premier choix, CFA (Berlin) a exhumé des toiles de Peter Doig des années 1980, dignes de mauvais Combas. Peter Blum (New York) a quant à lui joué la carte de l’atypique avec un tableau d’Alex Katz de 1959, proche de la peinture délavée d’un Luc Tuymans… La surproduction dans laquelle se fourvoient les artistes est telle que les sous-produits sont aussi légion. Mais les fashion victims n’en ont cure. Un collectionneur s’est ainsi emballé sur un tableau récent mais moyen de Jules de Balincourt pour 70 000 euros chez Arndt & Partner (Berlin, Zurich). Peut-être s’est-il estimé chanceux tant la plupart des œuvres étaient déjà indisponibles à l’ouverture de la foire !
Not for You : cette pièce de Monica Bonvicini, présente sur le stand d’Emi Fontana (Milan), était emblématique de la réponse essuyée par de nombreux amateurs. Par crainte des contrecoups de la chute boursière ou d’annulations intempestives, les exposants avaient presque tout vendu ou réservé plusieurs jours avant le vernissage. Informé en amont par la galerie Blum & Poe (Los Angeles), un collectionneur américain a acheté pour le prix délirant de 1,2 million de dollars la dernière œuvre fraîchement sortie de l’atelier de Takashi Murakami, à la barbe de cinq autres clients. Invité à venir à la première heure sur le stand de Donald Young (Chicago) pour voir la nouvelle fontaine surplombée de trois têtes de Bruce Nauman (ill. p. 21), Philippe Ségalot l’a aussitôt acheté à hauteur de 950 000 dollars pour François Pinault. Bien que la plupart des transactions aient été cadenassées avant la foire, la fondation mexicaine Jumex a pu acquérir sur photo une sculpture de Pierre Ardouvin, que présentait Chez Valentin (Paris), tandis que l’éditeur allemand Benedikt Taschen a emporté l’installation Filtros de Marepe chez Max Hetzler (Berlin). En revanche, un collectionneur français s’est vu refuser une sculpture de David Altmejd chez Andrea Rosen (New York), destinée à un musée américain. La stratégie de rétention se joue souvent en deux temps. Après avoir vendu toutes les éditions de Subodh Gupta à des collectionneurs privés, y compris, à un amateur allemand, le tapis roulant chargé de ballots (800 000 euros !) visible sur « Art Unlimited » , le marchand Pierre Huber (Genève) a décidé que, pendant un an, toutes ses nouvelles pièces seraient réservées à des musées. Reste à voir quelle sera l’évolution d’Art Basel avec le départ de son charismatique directeur, Samuel Keller, lequel prendra les rênes de la Fondation Beyeler en 2008.

Des foires « off » décevantes

Il fallait une bonne dose d’indulgence pour arpenter les allées de la Liste, la foire des jeunes galeries, laquelle a offert son plus mauvais visage depuis des années. Bien que plus ordonnancée, VOLTAshow, une autre foire off, n’a eu d’électrique que les ventes initiées tambour battant. La présence de quelques exposants comme Nathalie Obadia (Paris), plus digne d’une foire in que off, a toutefois rehaussé l’impression générale. Bâlelatina, dédiée à l’art sud-américain, n’a pas eu cette chance. En dépit de ce sentiment d’indigence et de saturation véhiculé par toutes ces manifestations parallèles, la foire Scope compte l’an prochain prendre part à ce Jamboree ! En revanche, et malgré l’effet de récurrence, la qualité a été au rendez-vous Miami Design Basel. Du moins la qualité « artistique », meilleure que celle d’usage. En mettant littéralement les meubles et l’art sur le même podium, les galeries ont pu exiger des sommes astronomiques. Jouant sur un dispositif d’estrades, Gabrielle Amann (Cologne) attendait des offres supérieures à 500 000 euros pour une Event Horizon Table de Marc Newson. Un fauteuil Orgon Stretch Lounge du créateur, acheté pour environ 70 000 euros chez Kreo (Paris), n’a-t-il pas été adjugé 520 000 dollars le 7 juin chez Phillips ? Depuis, le prototype du Lockheed Lounge s’est envolé pour 968 000 dollars le 14 juin chez Sotheby’s. À quand le million ?

Les « revivals » sont à la mode

Les galeries en manque de marchandise plongent souvent dans les fonds de tiroirs de l’histoire. « Il n’y a rien de plus sexy que de dire qu’on a redécouvert quelqu’un, observe Alexander Koch, auteur d’une thèse sur les artistes qui ont choisi de quitter le système de l’art. Une succession, c’est parfait, il n’y a personne qui exige 50 % des recettes. Les commissaires, quant à eux, se font une très bonne réputation, car ils abordent quelque chose qui n’est pas branché, en apparence du moins. Tous les paramètres sont là pour faire un bon coup ! » Décédée en 1999, mais sortie des arènes artistiques en 1971, Lee Lozano figure au rang des revivals. Découverte par l’artiste Paul McCarthy lors d’une exposition à PS1 à New York en 2004, elle est, depuis, représentée par Hauser & Wirth (Zurich, Londres). La galerie a profité de la rétrospective organisée simultanément à la Kunsthalle de Bâle pour afficher un tableau sur la foire. Mais seulement à titre d’échantillon, car la toile avait été vendue voilà quelque mois pour environ 180 000 euros. De son côté, Victoria Miro (Londres) a consacré une bonne partie de son stand à la peintre américain Alice Neel (1900-1984), une portraitiste très académique dont les prix voguent pourtant de 300 000 à 500 000 dollars. On pouvait enfin remarquer chez CFA (Berlin) une peinture de l’Allemand Uwe Lausen. La succession de cet artiste, qui s’est suicidé en 1970 à l’âge de 29 ans, est détenue par Haas & Fuchs (Berlin). Mais ce peintre devient autrement plus « sexy » entre les mains de CFA, qui l’a confronté en mars au travail de Daniel Richter. Tous deux n’ont toutefois pas les mêmes tarifs, une toile d’Uwe Lausen valant 38 000 euros. Le prix d’un jeune artiste... mort !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°240 du 23 juin 2006, avec le titre suivant : Le marché s’emballe

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