Redécouverte par les collectionneurs et portée par quelques records de ventes, la tapisserie moderne et contemporaine sort de l’ombre des arts décoratifs. Entre mémoire du geste et création textile, ce médium est en pleine revalorisation.
Après une période plus discrète dans les années 1980-1990, la tapisserie revient en force, portée par la redécouverte des savoir-faire traditionnels et par le dynamisme d’artistes contemporains qui s’approprient à nouveau ce médium. Ce regain d’intérêt s’inscrit dans une tendance plus large de valorisation des techniques artisanales d’exception, qui séduit un public aussi curieux qu’éclectique, sensible à la matière et au geste.
Au XXe siècle, la tapisserie s’affranchit de sa fonction décorative pour devenir un véritable champ de création. Dès l’entre-deux-guerres, Jean Lurçat (1892-1966) lui rend sa dignité plastique : simplification des formes, aplats colorés, symbolisme fort. Avec Dom Robert, Jean Picart Le Doux, Joan Miró, Le Corbusier, Fernand Léger, Alexander Calder, Sonia Delaunay et Man Ray, il fonde une tapisserie moderne, fidèle aux techniques classiques, mais ouverte à la monumentalité, à la couleur et au rythme du tissage. Ces artistes collaborent avec les grands ateliers d’Aubusson ou des Gobelins, dont les lissiers traduisent fidèlement leurs cartons à partir de laine ou de soie.
La tapisserie contemporaine s’émancipe largement de ces codes. Abordée comme une forme d’art textile à part entière, elle brouille la frontière entre art contemporain et artisanat d’art. Les lissiers participent désormais au processus créatif, tandis que les matériaux se diversifient – fibres synthétiques, métal, papier ou plastique – ouvrant de nouvelles voies esthétiques et techniques. Le résultat, plus libre et expérimental, reflète une écriture plastique affranchie du cadre mural. Parmi les artistes qui renouvellent le genre figurent Pierre Alechinsky, Pierre Boncompain, Enki Bilal, Claire Tabouret et de jeunes créateurs explorant le textile comme médium sculptural ou conceptuel.
Sur le marché, cet héritage connaît un regain d’attention de la part des collectionneurs comme des institutions, qui multiplient expositions et commandes. Les enchères confirment cette vitalité : Plein Champ de Dom Robert (1971) s’est envolée à 110 400 euros à Blois en 2022 (est. 40 000-60 000 €), tandis que Fugue de Sheila Hicks (1969-1970) a atteint 687 500 euros à Paris – record mondial pour une œuvre textile. En 2024, L’Étrange Oiseau et le taureau de Le Corbusier (1957) s’est vendu 416 000 euros chez Piasa, témoignant de l’intérêt renouvelé pour ce médium entre art et matière.
1. Tapisserie - Si la première période de création textile de Françoise Paressant (née en 1944) est plus classique, aujourd’hui, elle a délaissé le métier à tisser traditionnel pour pratiquer un tissage nomade, affranchi des contraintes de l’atelier. Inspirée par les traditions textiles d’Amérique du Sud, elle compose ses œuvres par accumulations, entrecroisements et ruptures de trame. Ses tapisseries abstraites, où laine, coton, papier Japon et polyane se mêlent à l’acrylique, vibrent d’une énergie chromatique singulière, entre structure et liberté, geste pictural et langage textile.
Galerie Chevalier, Paris
2. Tapisserie - Artiste allemand majeur de l’abstraction du XXe siècle, Hans Hartung (1904-1989), formé à Dresde, puis installé à Paris dès 1937, forge après-guerre un style singulier fait de gestes rapides, de lignes nerveuses et de couleurs intenses traduisant une émotion pure. À partir des années 1950, il explore la tapisserie avec l’Atelier Georges Goldstein, transposant son geste pictural dans la matière textile. Le passage du trait à la fibre, de l’instantané du geste à la lenteur du tissage, offre une nouvelle lecture de son œuvre : plus méditative, presque tactile, tout en conservant l’énergie rythmique et la tension qui fondent son langage abstrait.
Galerie Hadjer, Paris.
3. Tapisserie - La Galerie Boccara, dirigée par l’expert Didier Marien, vient de se réinstaller à Paris au sein de la galerie Véro-Dodat (1er arr.). Parmi les pièces qu’elle y présente figure cette tapisserie, véritable méditation sur la passion, la métamorphose et la nature, incarnant la vision symboliste et poétique de Jean Lurçat (1892-1966). Autour d’un soleil central – motif emblématique de son œuvre – se déploie une composition flamboyante où rayons, visages, animaux et feuillages forment une allégorie de l’amour dans toutes ses nuances. Tissée à l’Atelier Tabard d’Aubusson, cette tapisserie unit rigueur technique et vitalité cosmique, témoignant du souffle humaniste du modernisme des années 1950.
Galerie Boccara, Paris.
4. Tapisserie - Le Corbusier (1887-1965) découvre la tapisserie en 1936, lorsque la collectionneuse Marie Cuttoli lui commande un carton destiné à relancer la création d’artistes à Aubusson. En 1948, il en définit la fonction artistique et architecturale à travers sa théorie du « Muralnomad » : une tapisserie mobile, composant de l’habitat moderne, « qui se décroche du mur et s’accroche ailleurs ». Grâce à Pierre Baudouin, qui assure le lien avec les lissiers, il fait tisser une trentaine d’œuvres entre 1936 et 1965, inspirées de ses dessins puristes, de figures féminines ou de thèmes spirituels. Il reçoit aussi des commandes monumentales, dont celles du siège de l’Unesco à Paris et du Théâtre Bunka Kaikan de Tokyo.
Vendue chez Piasa, le 18 septembre 2024
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Le marché des tapisseries reprend des couleurs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°791 du 1 décembre 2025, avec le titre suivant : Le marché des tapisseries reprend des couleurs






