Surréalisme

Le marché après la vente Breton

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 2004 - 971 mots

La vente de l’auteur du Manifeste aura-t-elle un effet positif durable sur le marché du surréalisme ? Dix-huit mois après l’événement, analyse.

La collection Julien Levy chez Tajan, le Quartier Drouot qui se met au diapason du surréalisme, sans oublier diverses expositions en galeries, comme «  Masson » chez Cazeau-Béraudière, le surréalisme est encore en haut de l’affiche en cette rentrée 2004. La tendance a atteint son paroxysme depuis la dispersion de la collection Breton à Drouot en avril 2003, un événement mondial qui a joué un véritable rôle de catalyseur. Cette vente a donné une nouvelle visibilité à un grand nombre d’artistes jusqu’alors méconnus du grand public, sans parler de la plus-value qu’ont connue leurs œuvres. Ainsi Marcel Fleiss, le marchand expert de la vente Breton et grand spécialiste de la période à laquelle il a voué plus de trente ans d’activité, « n’aurai[t] pas fait [s]on exposition actuelle sur Yves Laloy sans le coup de pouce de la vente Breton ». Plus qu’un coup de pouce, la cote de l’artiste a été revue à la hausse après son record du 14 avril 2003 (96 200 euros pour Les Petits Pois sont verts… les petits poissons rouges…). Avant Breton, un tableau surréaliste de Laloy était estimé autour de 1 500-2 000 euros, à l’exemple de Soleil sur l’O vendu dans cette fourchette de prix chez Briest le 5 décembre 2001. Aujourd’hui, il faudrait rajouter un zéro. Ouah-ouah, l’unique pièce de l’artiste passée sur le marché des enchères depuis la vente Breton, est aussi la seule huile de Laloy à avoir dépassé les 10 000 euros (adjugée 16 930 euros le 9 juin 2004 chez Artcurial) en quinze ans de ventes publiques, exception faite de celles de la vente Breton.
Wolfgang Paalen et Toyen, des artistes ayant réalisé des prix records frisant parfois les 100 000 euros lors de la vente Breton, ou Angel Planells et Marujar Mallo, dont aucune pièce n’est apparue en vente publique depuis, jouissent également d’un regain d’intérêt. Portrait d’André Breton (1950) de Toyen, un lot « Breton » ayant échappé par erreur à la vente mythique de 2003, s’est envolé à 78 215 euros le 21 mars 2004 à Drouot. La pluie de prix records de la vente Breton a profité aux « petits » artistes sans pour autant oublier les grands. Les Duchamp, Man Ray, Masson, Ernst et Lam se négocient aujourd’hui à l’achat avec moins de marge de manœuvre, comme le constatent les galeries. Les vendeurs sont devenus gourmands. L’inflation est générale et n’arrête pas les amateurs. « À [la Foire de] Bâle, pour l’exposition “Les Cadavres Exquis”, nous avons vendu nos œuvres sur papier [signées Breton, Éluard, Tanguy, Max Morise, entre autres] aux prix de la vente Breton, voire plus », confie Marcel Fleiss. La section consacrée au surréalisme a également augmenté dans les catalogues des libraires. Et ceux qui ne vendaient pas d’ouvrages sur ce thème avant la vente Breton s’y sont mis, prenant ainsi le train en marche. Quant à la photographie, « les plus beaux tirages surréalistes (de Bellmer, Man Ray, Álvarez Bravo…) se sont vendus au moment de la vente Breton, remarque l’expert David Fleiss. Mais depuis il n’y a rien eu de comparable sur le marché ». Ce dernier va-t-il pouvoir continuer longtemps à surfer sur la vague Breton ?

Prix Breton dépassés
Spécialisé depuis trente ans en surréalisme international, Claude Oterelo organise à Drouot deux à trois ventes annuelles, plus confidentielles que médiatisées, comprenant des documents surréalistes : livres, manuscrits, dessins, collages, photos… « Il y a quinze-vingt ans, les gens ne se battaient pas pour acheter du surréalisme, domaine réservé aux connaisseurs et collectionneurs éclairés, raconte l’expert pour les livres de la vente Breton. Mais, indépendamment de l’effet de mode qui a débuté il y a dix ans, le surréalisme est de plus en plus recherché et de plus en plus cher. La vente Breton a été une locomotive formidable qui a montré des artistes consacrés et d’autres moins renommés dont les prix ont sensiblement monté, comme Toyen. Mais la force de cette vente dont tout le monde a entendu parler, d’Honolulu à Hollywood – ce qui n’est pas le cas pour la dispersion du fonds surréaliste du libraire Jacques Matarasso cédé en 1993, 1994 et 1996 chez Loudmer –, est d’avoir créé des vocations. Depuis, j’ai de nouveaux acheteurs, plutôt jeunes, dans la fourchette des 30-45 ans. »
L’engouement est tel que les prix soutenus lors de la vente Breton semblent déjà dépassés, même si les pièces réapparues sur le marché sont rares. « En novembre 2003, j’ai vendu deux livres d’un bon niveau plus chers qu’ils n’avaient fait six mois plutôt dans la vacation Breton. Deux vendeurs coincés financièrement et peinés de se séparer de leur acquisition… », témoigne Claude Oterelo. Les amateurs éclairés parlent de la célèbre vente avec beaucoup de joie mais aussi des regrets, décelables au chant des « J’aurais dû acheter davantage ! » et des « Je n’aurais pas dû lâcher mon enchère ! » Chez Sotheby’s et Christie’s, on salue la prestation parisienne, mais pas question pour autant de délocaliser les ventes surréalistes à Paris. « Nos clients ne nous l’ont pas demandé particulièrement », précise Olivier Camus, le spécialiste maison de Christie’s. Le droit de suite, qui pénalise l’art moderne, y est sans doute pour quelque chose. Les vacations spécialisées des auctioneers ont lieu une fois par an en février à Londres depuis 2000. Lors de la dernière session, en février 2004, à côté des grosses pointures comme Dalí et Magritte, sont apparues des œuvres de Paalen ou Enrico Donati, des noms que l’on n’avait pas vraiment entendus depuis Breton. Il est vrai que « les prix de tous les surréalistes ont un peu monté », reconnaît-on à Londres. Une tendance qui ne demande qu’à se confirmer.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Le marché après la vente Breton

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