Le droit du jardinier restaurateur

L'ŒIL

Le 1 septembre 2004 - 598 mots

Une récente décision, rendue par le tribunal de grande instance de Paris à propos du château de Vaux-le-Vicomte, ouvre la voie aux revendications des jardiniers, qu’ils soient restaurateurs et/ou créateurs.

Le Code de la propriété intellectuelle ne donne qu’une énumération indicative des œuvres susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur. La jurisprudence s’est largement chargée de compléter les listes esquissées par le législateur. La reproduction, dans des livres, de créations de nature très diverse – dès lors que ces créations répondent au critère classique de l’originalité – peut nécessiter une demande d’autorisation et le versement d’une rémunération.
Le 10 mai 2003, le tribunal de grande instance de Paris a complété la liste des œuvres protégeables en se prononçant sur la protection des jardins de châteaux. Les jardins de Vaux-le-Vicomte ont été dessinés et réalisés par Le Nôtre. Mais, au début du XXe siècle, « le grand parterre central de broderies, situé de part et d’autre de l’allée médiane partant des marches du château », n’était plus constitué que « de simples surfaces engazonnées ». C’est dans ce contexte que la restauration des jardins, commencée en 1875 et achevée après la Première Guerre mondiale, a été entreprise.
Or, selon les juges, cette restauration « ne peut s’analyser ni comme une remise en état d’un ensemble préexistant, ni comme une réplique à l’identique des parterres initiaux, aucun plan, aucun dessin n’ayant pu être retrouvé ». Ils ont relevé que « le dessin préparatoire signé par le graveur
Israël Silvestre pour le compte du surintendant Fouquet, ainsi que les gravures de l’époque signées A. Pérelle ou N. De Noilly, ne donnent que des indications générales et une vue d’ensemble illustrant certes les réalisations de l’époque mais insusceptibles, par elles-mêmes, de fournir des instructions techniques précises qui se seraient imposées » au restaurateur, « sans que celui-ci ait à prendre des initiatives personnelles pour les adapter au site sur lequel il devait intervenir ».
Les magistrats ont estimé que « le travail effectué sur les broderies du parterre des jardins de Vaux-le-Vicomte, même qualifiés de “restauration” et en dépit de l’ambiguïté de ce terme, n’est pas exclusif de protection ». Le tribunal a considéré que « le grand parterre de broderies du parc du château […] constitue donc une création originale, certes réalisée conformément à ce qui lui avait été demandé et aux contraintes historiques de styles dont il convenait de tenir compte pour approcher de plus près la broderie d’origine telle que Le Nôtre, initiateur des jardins à la française, aurait pu la concevoir au XVIIe siècle, mais exprimant de manière non contestable la personnalité de son auteur et conférant ainsi à l’œuvre réalisée une originalité certaine justifiant une protection par le droit d’auteur ».
C’est ainsi qu’une publicité pour un joaillier, qui reproduisait cette partie du jardin sans autorisation des héritiers du restaurateur, a été jugée contrefaisante.
Rien n’empêche un restaurateur d’être considéré comme un auteur. Et ce même si la cour d’appel de Paris en avait décidé différemment, en 1994, pour la restauration des films de Louis Feuillade. Mais plusieurs décisions récentes ont admis les restaurateurs au rang d’auteurs. Il en a été jugé ainsi, en 1996, par la cour d’appel de Paris qui se penchait sur le cas d’un immeuble. Le Conseil d’État en avait fait de même, en 1999, au sujet des orgues de la cathédrale de Strasbourg.
Quant au tribunal de grande instance de Paris, il avait déjà fait précéder sa décision, dans l’affaire de Vaux-le-Vicomte, d’un jugement rendu dans le même sens, en 1997, à propos de la restauration de statues du château de Versailles.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°561 du 1 septembre 2004, avec le titre suivant : Le droit du jardinier restaurateur

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