Tribune

Laurence Fligny : « La Haute époque attire des clients fidèles et passionnés »

Expert Haute époque, commente les réçents records en vente publique

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 27 janvier 2015 - 1006 mots

Laurence Fligny, expert indépendant spécialisé en Haute époque, Moyen-Âge, Renaissance et XVIIe siècle, assiste une cinquantaine de commissaires-priseurs à Paris et en province.

Quel est votre parcours ?
J’ai été antiquaire de 18 à 25 ans en mobilier et objets d’art Haute époque sur des salons français. Déjà, j’étais attirée par des objets un peu austères, à connotation religieuse. Depuis 1992, je suis expert Haute époque, expert indépendant puisque je ne suis pas marchand. J’assiste une cinquantaine de maisons de ventes à Paris et en province. Ce qui m’intéresse, c’est de trouver des objets et de pouvoir les resituer à l’époque, de trouver une école, un commanditaire, une destination. Je suis plutôt historienne d’art dans ma démarche. J’ai été très gâtée par cette tête de gisant, qui s’est révélée être sans doute celle de Jeanne de Bourbon (adjugée 1,15 million d’euros chez Piasa le 11 décembre 2014), par Jean de Liège ou son atelier, ce qui obligatoirement impliquait une provenance proche du roi Charles V. Faire des recherches à un tel niveau est passionnant.

Qu’englobe la notion de Haute époque ?

In extenso, il s’agit d’une période qui va de la fin de l’époque romaine, environ du Ve siècle après J.-C,. jusqu’à l’époque baroque. Il y a peu d’objets du haut Moyen-Âge et de l’époque romane, essentiellement ce sont donc les styles gothiques, Renaissance et du Grand Siècle qui sont représentés dans les ventes publiques Haute époque. Cette discipline inclut tout le mobilier et les objets d’art, sauf les tableaux. Le pôle le plus important aujourd’hui est la sculpture, car le mobilier connaît depuis quelques années une certaine désaffection. Il y a aussi les émaux, que ce soient les champlevés de Limoges du Moyen-Âge, puis les émaux peints de la Renaissance ; les bronzes du XVIe et du XVIIe siècle ; les ivoires ; les luminaires en bronze ; l’enluminure, la tapisserie, le fer forgé, l’orfèvrerie XVIe-XVIIe siècle, la céramique dont les majoliques, les objets de curiosité et l’art populaire ancien. Ma période de prédilection est la Première Renaissance, c’est-à-dire la fin de l’époque gothique avec l’arrivée de la nouvelle thématique antiquisante venant d’Italie, un moment de charme entre 1500 et 1540 où le mélange des styles prime. C’est une période qui a donné lieu à des œuvres très raffinées et uniques dans l’art européen.

Comment se porte le marché de la Haute époque en ce moment ?

Comme les autres marchés. Les objets à intérêt international se vendent très bien, mais ils sont de plus en plus rares tandis que les objets de la vie plus courante ont plus de mal à trouver preneur ou se vendent pour de faibles valeurs. Un objet de très belle qualité, comme la plaque en émail champlevé, XIIe, achetée par le Metropolitan de New York en 2013 (SVV de Baecque, Lyon, 816 000 euros frais compris), ainsi qu’une sculpture appartenant à une grande école ou que l’on peut attribuer à un sculpteur connu rencontrent toujours beaucoup d’intérêt. C’est plus difficile pour le mobilier, les luminaires ou les étains. Le mobilier est en perte de vitesse alors on nous le confie moins en vente publique. Parfois même, le montant du transport ne couvre pas le montant de l’adjudication, ce qui est dommage car certains meubles sont de véritables œuvres d’art. Il reste encore des beaux meubles de cette époque, on pourrait les faire venir sur le marché s’ils faisaient les prix qu’ils devraient faire, mais comme ce n’est pas le cas, les collectionneurs les gardent. Il y a aussi une question de mode : dans le mobilier, les tables se vendent bien mais ce n’est pas le cas pour les sièges par exemple. Peut-être que cela sera différent dans six mois. Le marché fluctue beaucoup plus rapidement qu’il y a vingt ans. La Haute époque est moins à la mode que dans les années 1975-1980 bien sûr, mais elle attire un noyau de clients extrêmement fidèles et passionnés. Auparavant, des maisons entières étaient meublées en Haute époque, alors qu’aujourd’hui, l’objet l’emporte sur le meuble. En revanche, les prix d’adjudication sont plus élevés qu’il y a vingt ans pour les objets de haute qualité. Nous vivons une époque complètement différente où le marché s’ouvre à l’international et permet de toucher beaucoup plus facilement des amateurs et des musées étrangers dont les moyens sont sans comparaison avec ceux du public français. Les objets courants se négocient à moins de 3 000 euros, les objets plus rares mais de qualité moyenne, entre 8 000 et 12 000 euros, tandis que l’exceptionnel n’a pas de limite bien définie et peut trouver preneur à plusieurs millions d’euros ; comme les deux pleurants du duc Jean de Berry adjugés à plus de 4 millions d’euros malgré leur état de conservation en novembre 2013 ou la Vierge en ivoire de la collection Marquet de Vasselot à plus de 6 millions chez Christie’s.

Recourrez-vous aux expertises scientifiques ?
Normalement non, exception faite de quelques cas particuliers. Il faut que l’objet en vaille la peine et que le vendeur soit d’accord pour payer l’analyse.
Pour les faïences des Della Robbia, reproduites presque à la perfection au XIXe, il faut d’abord réaliser un test de thermoluminescence avant d’en présenter une sur le marché. Pour la sculpture, je demande à une géologue qui a beaucoup travaillé pour les musées – Annie Blanc – d’essayer de cerner l’origine de la pierre, ce qui me permet d’approfondir certaines pistes. Pour la tête présumée de Jeanne de Bourbon, ce n’était pas la peine de réaliser une telle expertise, j’ai seulement demandé à Annie Blanc de me confirmer qu’il s’agissait bien d’un marbre de Carrare. Tous les tombeaux royaux de Saint Denis sont en marbre de Carrare, ce qui confortait ainsi mon expertise. L’acheteur ne souhaite toujours pas se faire connaître. Je peux juste dire qu’il était très heureux de l’avoir car il pensait qu’elle se vendrait au-dessus du million (adjugée 950 000 euros hors frais). Quant aux musées qui ne se sont pas manifestés, il faudra les interroger. Est-ce une question de budget ? Peut-être…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Laurence Fligny : « La Haute époque attire des clients fidèles et passionnés »

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