La photographie assure la relève

Récession, émeutes, cataclysmes ébranlent durement la scène artistique, mais à Hollywood la photographie reste une valeur sûre

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1994 - 949 mots

La récession, les émeutes, les catastrophes naturelles, mettent à mal la vie des galeries de Los Angeles. La photographie reste le seul domaine à n’avoir pas souffert de la crise générale, grâce en partie au soutien du Getty Museum et du LACMA. Les collectionneurs d’art n’achètent plus, la fondation Lannan a suspendu ses achats pour financer désormais des œuvres caritatives. Mais les initiatives se développent, et pour sortir de ce mauvais pas, les galeries créent l’événement.

LOS ANGELES - Parce que la ville est extrêmement étendue, on n’y trouve ni centre de l’activité artistique, ni milieu important d’amateurs d’art, malgré la présence de nombreux collectionneurs. L’art contemporain est en crise, mais la photographie et le travail sur la photographie font florès à Los Angeles.

En janvier, lors de la foire Photo L. A., les affaires semblaient marcher à merveille. Incontestablement, le soutien institutionnel du Getty et du Los Angeles County Museum of Art a amélioré la situation des galeries de photographie, par l’achat d’œuvres et leur promotion permanente. Marla Kennedy, directrice de la galerie G. Ray Hawkins, affirme vendre "presque une photo par jour". À Los Angeles, les acheteurs d’art travaillent souvent dans l’industrie cinématographique, et cela peut expliquer le succès des photos, dont le prix, de plus, est relativement bas.

D’après Marla Kennedy, "avec 8 000 dollars (43 000 francs environ), on peut s’offrir une belle collection, avec des œuvres à 1 000 dollars (5 300 francs environ) de photographes comme Sally Gall, Keith Carter, Sarah Moon ou Lyn Davis".

La galerie G. Ray Hawkins existe depuis dix-neuf ans, et elle présente durant l’été une gamme de photographes qui va d’Avedon à Paul Strand ou au photo-journaliste russe Dimitri Baltermants.

Peinture et photographie
Craig Krull représente de son côté des artistes qui utilisent la photo. Quarante pour cent des collectionneurs ont des liens avec le cinéma, et la moitié des artistes sont de Los Angeles. Krull s’intéresse à la culture californienne, qu’illustre un artiste comme Andy Hernandez, avec ses études photographiques "d’archéologie urbaine". Krull souligne que "le système des prix, dans l’art utilisant la photo, reste raisonnable : il y a beaucoup moins d’exagération que pour la peinture dans les années quatre-vingt".

La récession et les catastrophes naturelles récentes ont eu un retentissement spectaculaire sur le milieu de l’art. Certains marchands cherchent à innover : nouveaux types d’espaces, nouvelles formules. Les galeries s’associent entre elles à l’occasion des vernissages, prolongent leurs heures d’ouverture.

Bergamont Station, qui a ouvert en juin à Santa Monica, à l’initiative des marchands Shoshana et Wayne Blank, est un immense complexe combinant des lieux d’exposition, une librairie spécialisée, un restaurant, une salle de spectacles. Vingt galeries doivent y emménager, dont Burnett Miller, Dorothy Goldeen, Craig Krull ou Pat Faure, anciennement à La Brea. Les artistes de Krull "abordent la réaction de l’individu aux forces de la nature, à des situations culturelles et urbaines telles que la perte du domicile, aux problèmes écologiques et spirituels" : ainsi, Edmund Teske, dont les solarisations évoquent le dieu Shiva surgissant de la terre de Californie.

Les galeries et leur clientèle
Il existe encore quelques galeries qui ont su conserver leur clientèle : par exemple, à Santa Monica, la galerie Mark More, ouverte voici un an dans le Broadway Gallery Complex et dirigée par Chris Ford. On peut y voir des artistes aussi divers que Carie Petterson, qui habille des sculptures de nus féminins inspirés par des artistes modernes de sexe masculin (exemple : La robe de Giacometti), ou Thomas Nakada, qui peint des molécules d’ADN, des virus, des cellules et des anticorps. La galerie Angles, toujours à Santa Monica, existe depuis onze ans. Elle est située dans un ensemble architectural construit à cette fin, sur Main Street.

Trente pour cent de ses acheteurs travaillent dans l’industrie cinématographique, soixante-dix pour cent exercent des professions libérales ; un quart de la clientèle est internationale. La gamme des prix va de 1 000 à 100 000 dollars. Au tiers d’artistes originaires de Los Angeles s’ajoutent deux Anglais, quatre New-Yorkais, trois artistes du Sud-Ouest et un du Midwest. Peu de jeunes. Les vernissages de la galerie Angles rassemblent jusqu’à 300 personnes ; ce taux de fréquentation montre qu’elle a su se montrer lucide dans ses choix et son orientation. Les œuvres présentées sont claires, très cohérentes : c’est le cas d’une exposition récente présentant les œuvres du new-yorkais Hiroshi Sugimoto, qui utilise la photographie, et les travaux conceptuels de Claudia Matzko.

Cependant, Daniel Weinberg et Genie Meyers, naguère à la tête de Meyers Bloom, sont partis, et s’apprêteraient à redémarrer à San Francisco. Linda Cathcart ne reçoit plus que sur rendez-vous. Margo Levin et L.A. Louver résistent cependant à ce repli généralisé. Des galeries se réclament des méthodes de "guérilla", des expositions apparaissent à l’improviste, comme au Rory De Vine’s TRI and Foodhouse. À La Brea, Kim Light, Sue Spaid, ou Tom Solomon’s Garage suivent des orientations originales et connaissent un indéniable succès.

Les ventes informatisées : the Kaleidoscope
Mais on peut même se passer des galeries : The Kaleidoscope permet de vendre des œuvres par l’intermédiaire d’un réseau informatisé. Grâce à ce service basé à Los Angeles, les artistes, moyennant 50 dollars par œuvre, peuvent présenter leur travail à "20 millions de personnes dans 127 pays". D’après Chris Ford, "après le tremblement de terre, les priorités ne sont plus les mêmes. Les gens qui accèdent aujourd’hui au milieu artistique s’intéressent davantage à la qualité. J’ai changé : vendre de l’art, oui, c’est important, mais ce n’est pas tout." Certains collectionneurs sont partis ; la Fondation Lannan a cessé toute acquisition pour se consacrer à la lutte contre la pauvreté. Même les valeurs les plus sûres tremblent encore sous cette succession de chocs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : La photographie assure la relève

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque