Art Forum : l’avis des marchands et des collectionneurs

La nouvelle capitale allemande favorisera-t-elle un développement des arts ?

Le Journal des Arts

Le 10 septembre 1999 - 1243 mots

Thomas Schulte, installé Berlin, Christian Nagel et Mathias Rastorfer, à Cologne, s’expriment sur la foire, la politique culturelle et la scène de l’art contemporain en Allemagne.

Thomas Schulte, galerie Franck & Schulte (Berlin), président du comité de sélection d’Art Forum

Que présentez-vous à Art Forum cette année ?
Gordon Matta Clark, ainsi que des œuvres récentes de Sol LeWitt, Johannes Kahrs et Rebecca Horn.

Quels changements avez-vous notés depuis que le gouvernement allemand est revenu s’installer à Berlin ?
Le gouvernement accorde davantage de fonds aux projets culturels, ce qui constitue un atout considérable : le budget culturel de la Ville de Berlin est de 879 millions de deutschemarks, que le gouvernement complétera à hauteur de quelque 88 millions. Le paysage culturel dans son ensemble va en bénéficier. Par ailleurs, la municipalité de Berlin a prévu un budget de 130 000 deutschemarks pour ses acquisitions, principalement dans les foires d’art.

Art Forum fête son quatrième anniversaire. Pensez-vous que davantage de collectionneurs sont venus s’installer à Berlin depuis cette date ?
Oui, les collectionneurs de Cologne et de Munich ont au moins une résidence secondaire à Berlin. En avril, j’ai exposé Thomas Joshua Cooper et conclu 70 % des ventes avec des collectionneurs berlinois. Les œuvres restent à Berlin, c’est très bon signe. Jusqu’à présent, les galeries européennes formaient une sorte d’association qu’elles ont transformée cette année en un véritable forum pour collectionneurs, afin d’expliquer comment se constitue une collection et de mieux faire connaître la foire. On peut donc s’attendre à une augmentation du nombre de collectionneurs au cours des trois prochaines années.

Comment Art Forum évolue-t-elle par rapport aux autres foires allemandes ?
Au départ, nous avons pris pour référence “Secession”, à Cologne. Puis, Art Forum a évolué et s’est forgée sa propre identité. Elle est à présent axée sur les jeunes artistes, avec des œuvres nouvelles et pleines d’énergie qui correspondent à ce qu’est Berlin aujourd’hui, une ville en émergence. Son évolution est comparable à celle du Far West : les investisseurs heureux pourront se réjouir, les autres n’auront plus qu’à tout recommencer.

Christian Nagel, galerie Nagel (Cologne)

Que présentez-vous à Art Forum cette année ?

Je partage un stand avec Bärbel Grässlin, et nous allons mettre l’accent sur la peinture : Michael Krebber, Hans Jörg Mayer, Heimo Zoberneg et Matthias Schaufler.

Quels changements avez-vous notés depuis que le gouvernement allemand est revenu s’installer à Berlin ?
Bonn n’est pas très loin de Cologne. Pendant quarante-cinq ans, le Parlement a donc été proche de Cologne et cela n’a jamais eu d’influence sur le marché de l’art. Je ne sais pas ce qui va arriver à Berlin, mais sans doute le Parlement sera-t-il rempli d’œuvres soi-disant contemporaines de l’ancienne génération, choisies dans des musées par des historiens de l’art. Le budget de la Culture n’ira pas forcément aux arts plastiques, plutôt à l’opéra et au théâtre. Le gouvernement allemand ne s’est jamais vraiment investi dans les arts, alors pourquoi le ferait-il maintenant ? Prenons par exemple Gerhard Richter, Sigmar Polke ou encore Baselitz : ce sont aux peintres les plus cotés que les musées consacrent leurs grandes expositions. Là n’est sans doute pas la priorité des politiques.

Art Forum fête son quatrième anniversaire. Pensez-vous que davantage de collectionneurs sont venus s’installer à Berlin depuis cette date ?
Des jeunes d’une trentaine d’années ont commencé à réunir une collection et vont continuer, mais ils ne sont pas aussi nombreux que dans la génération précédente. Aujourd’hui, le profil du collectionneur n’est plus le même : sérieux, prenant son temps, sa motivation n’est pas d’ordre social. Ces collectionneurs ont un profond intérêt pour l’art complexe, mais ils ne vivent pas à Berlin – je pourrais vous citer des personnes à Wuppertal, dans la Forêt noire, à Munich, à Hambourg, qui s’investissent autant, si ce n’est plus, dans l’art contemporain que les soi-disant Berlinois. Nous ne savons pas encore qui sont les Berlinois. Nous avons créé à Berlin, à titre privé, une Kunsthalle, “Init”, qui a présenté l’an dernier des artistes des années quatre-vingt. C’est la fréquentation de ces expositions qui nous aidera à mieux cerner les goûts artistiques des Berlinois.

Comment Art Forum évolue-t-elle par rapport autres foires allemandes ?
À la foire de Bâle, cette année, j’ai rencontré des gens qui prenaient Berlin très au sérieux. Je suis convaincu qu’Art Forum sera bientôt la grande foire d’art contemporain de référence. Cette nouvelle édition ne sera sans doute pas aussi passionnante que la dernière foire de Bâle, mais les gens qui s’intéressent à l’art de ces trente dernières années seront tous à Berlin ce mois-ci.

Mathias Rastorfer, galerie Gmurzynska (Cologne, Zurich, New York)

Participerez-vous à Art Forum cette année ?
Non. Cette foire est un événement très contemporain, avec une excellente présentation, mais elle n’est pas très rentable. D’autre part, la galerie Gmurzynska est installée à Cologne, pas à Berlin, bien que ce ne soit pas pour cette raison que nous avons décidé de participer à une foire plutôt qu’à l’autre.

Quels changements avez-vous notés depuis que le gouvernement allemand est revenu s’installer à Berlin ?
Le retour du gouvernement à Berlin est un important stimulus : tous ces nouveaux bâtiments, ces nouvelles structures, c’est très impressionnant. Mais une ville a également besoin d’habitants et d’activités. Art Forum contribue à atteindre cet objectif et pourrait, à long terme, devenir une grande foire d’art contemporain. Toutefois, je pense qu’il faudra plus de temps qu’on ne l’imagine pour que Berlin devienne une plate-forme culturelle à part entière, pas seulement pour les foires d’art, mais aussi pour les galeristes qui viennent s’y installer.

Art Forum fête son quatrième anniversaire. Pensez-vous que davantage de collectionneurs sont venus s’installer à Berlin depuis cette date ?
La présence de quatre-vingts collectionneurs berlinois à l’inauguration du Forum des collectionneurs des European Galleries, semble indiquer une migration vers la nouvelle capitale. Tout dépend de la définition que l’on donne au mot “collectionneur” et de l’objectif que l’on se fixe : acheter pour 5 000 deutschemarks une ou deux œuvres de Beuys produites en série fait aussi de vous un collectionneur. Art Forum est avant tout un forum pour collectionneurs d’art contemporain, et le besoin d’une telle manifestation était réel. Tout pays qui accueille deux ou trois foires d’art concurrentes peut s’attendre à des problèmes – c’est le cas à Chicago ou à Paris. Berlin et Cologne doivent se partager le calendrier de manière intelligente, avec une image et une vocation bien distinctes. Berlin assure parfaitement la promotion d’Art Forum ; les activités prévues pour les collectionneurs sont très impressionnantes. J’aimerais que les organisateurs de Cologne aient autant d’imagination : la plus ancienne foire d’art au monde dispose d’un fort potentiel à exploiter.

Comment Art Forum évolue-t-elle par rapport aux autres foires allemandes ?
Je suis vice-président de la Fiac à Paris, et membre du conseil d’administration d’Arco, à Madrid ; je suis donc de près le développement des autres salons. Évidemment, il y a danger lorsque trop de foires se font concurrence. Berlin commence tout juste à tenir ses promesses. Le transfert du gouvernement aura certainement des répercussions positives sur Art Forum et sur l’image de marque de la ville. Pour les galeries, Art Forum est un événement stratégique où pourront se nouer des contacts intéressants. En faisant le pari que Berlin deviendra le centre d’art contemporain que tout le monde espère, un certain sacrifice commercial vaut peut-être la peine. Si l’on n’y croit pas, il vaut mieux aller à Cologne où les résultats sont pratiquement garantis, et c’est pourquoi la liste d’attente est si longue.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°88 du 10 septembre 1999, avec le titre suivant : La nouvelle capitale allemande favorisera-t-elle un développement des arts ?

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