Analyse

La lourde loi des garanties

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2004 - 563 mots

Malgré de très bonnes enchères et encore des records, les maisons de ventes
anglo-saxonnes ont perdu des millions de dollars au jeu risqué des garanties.

L’Amérique n’en finit pas de défier le monde, sur le terrain politique, mais aussi artistique. Pendant deux semaines, les regards étaient focalisés sur les ventes modernes et contemporaines de New York. Même les plus optimistes retenaient leur souffle car les auctioneers s’étaient livrés à une politique de garanties agressive accompagnée d’estimations parfois audacieuses. La réélection prévisible de George W. Bush à la présidence américaine a consterné les partisans des démocrates, rassuré les investisseurs sans toutefois changer la face de la Bourse. Au lendemain des résultats, le Dow Jones a connu une petite hausse de 1,01 % et le Nasdaq, une progression de 0,98 %, ce malgré l’envolée du prix du baril de pétrole. Dans le bastion démocrate qu’est New York, une œuvre de Richard Phillips représentant le président républicain doublait même son estimation initiale avec 142 000 dollars (110 043 euros) chez Sotheby’s !
En art comme en politique, l’implosion n’est pas à l’ordre du jour. La vente impressionniste de Christie’s le 3 novembre a totalisé 128,2 millions de dollars, contre 56,6 millions en mai. L’homme d’affaires Samir Traboulsi, mis en examen dans l’affaire Elf, emportait pour 20,1 millions de dollars Londres, le Parlement, effet de soleil dans le brouillard (1904) de Claude Monet, provenant de la famille Durand-Ruel. Le lendemain, Sotheby’s alignait six records et un total de 194,2 millions de dollars, restant cependant en deçà des prévisions basses de 205,8 millions. La collection Hester Diamond, garantie d’après les professionnels pour 65 millions de dollars, n’engrangeait que 39 millions, soit une perte sèche de 16 millions pour la firme américaine.
L’art contemporain commençait en fanfare avec la collection de photos de la baronne Lambert envolée pour 12,4 millions de dollars, avec à la clé neuf records, chez Phillips le 8 novembre. Richard Prince enchaînait les gros prix. La galeriste Barbara Gladstone achetait pour 322 800 dollars, quatre fois son estimation, une photo datée de 1983 chez Phillips. Chez Sotheby’s le lendemain, une photo de 1980 du même auteur se propulsait vers le record de 736 000 dollars, achat du marchand Tony Shafrazi pour le collectionneur Peter Brand. Ironie du sort, Barbara Gladstone n’avait pas réussi à vendre une photographie plus grande de cette série pour 500 000 dollars en décembre 2003 sur Art Basel Miami Beach !
Bien que Sotheby’s ait eu la main lourde sur les estimations, elle s’en est sortie avec un total de 93 millions de dollars, en-dessous des prévisions hautes de 106 millions de dollars. Le fusain de Jasper Johns vendu par le producteur David Geffen a obtenu le record de 10,9 millions, tandis que le Rothko grimpait à 17,37 millions de dollars.
Le 10 novembre, Christie’s affichait 92,4 millions de dollars, un chouïa sous la barre haute de 94 millions. Elle aurait de son côté garanti plusieurs pièces pour plus de 45 millions de dollars. De nombreux artistes des années 1980-1990 sortaient victorieux de cette semaine, au rang desquels Marlene Dumas, John Currin et Maurizio Cattelan. Le record de 2,7 millions de dollars obtenu chez Christie’s pour une galéjade de Cattelan, Not Afraid of Love, était éclipsé par les 3 millions de la Nona Ora chez Phillips le lendemain. Une œuvre qui cinq ans plus tôt ne valait que 80 000 dollars...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°203 du 19 novembre 2004, avec le titre suivant : La lourde loi des garanties

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