Justice

DROIT

La justice encadre les frais de stockage

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 18 juin 2025 - 835 mots

La cour d’appel d’Amiens estime qu’une clause relative aux frais de stockage d’une œuvre d’art peut être requalifiée en clause pénale.

Les réserves du musée des Trois Pays de Lorräch en Allemagne © Wladyslaw Sojka, 2023, Free art license
Les réserves du musée des Trois Pays de Lorräch en Allemagne.

Amiens (Somme). Les professionnels du marché de l’art font souvent face à des problèmes de stockage, les œuvres n’étant pas nécessairement emportées aussitôt après leur acquisition. Pour éviter que les maisons de ventes ou galeries ne deviennent des dépôts à la merci des clients, celles-ci prévoient généralement dans leurs conditions générales de vente des frais de stockage forfaitaires qui s’appliquent si l’œuvre n’est pas retirée après la vente dans un certain délai, des coûts qui peuvent rapidement s’envoler. Aussi la rédaction de cette clause n’est-elle pas anodine, comme le rappelle la cour d’appel d’Amiens par un arrêt du 22 avril 2025.

En février 2018, un particulier a été déclaré adjudicataire par Paris Oise Enchères de trois bronzes animaliers pour la somme de 14 625 euros. Malgré leur paiement, l’adjudicataire n’a pas récupéré les objets. Quelques années plus tard, celui-ci a souhaité obtenir la remise des bronzes mais la maison de ventes s’y est opposée et a demandé le paiement de frais de gardiennage qui lui avait été imposés par l’adjudicataire. En effet, le catalogue de la vente mentionnait, au sein des conditions générales, que des frais de 10 euros par jour et par objet seraient facturés à partir du quinzième jour suivant la vente. Ne l’entendant pas de cette oreille, l’adjudicataire a assigné la maison de ventes.

Le 21 mars 2023, le tribunal judiciaire de Senlis (Oise) a partiellement fait droit à sa demande. En effet, après avoir considéré que les conditions générales s’appliquaient, le tribunal a estimé que la clause relative aux frais de stockage s’analysait en une clause pénale. Une clause pénale est la clause par laquelle une partie à un contrat s’engage à payer à son cocontractant une somme prévue de manière forfaitaire en cas d’inexécution de ses obligations. Il s’agit à la fois, pour le débiteur d’une obligation, de la possibilité d’y échapper contre paiement d’une indemnité, et d’un moyen de contraindre celui-ci à l’exécuter s’il ne souhaite pas souffrir d’une telle indemnité. Pour les juges, les frais de gardiennage constituaient une clause pénale qui venait, en quelque sorte, sanctionner l’inexécution de l’adjudicataire de récupérer ses biens « dans les temps » auprès de la maison de ventes.

Or, il résulte de l’article 1231-5 du code civil que « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre ». Toutefois, « le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». Faisant application de ce principe, les juges senlisiens ont estimé que le montant des frais de stockage prévus par la maison de ventes était excessif au regard du préjudice réel – et qu’il n’était nullement démontré. Ils ont donc révisé ces frais à 0,50 euro par jour et par objet et ont condamné l’adjudicataire à régler la somme de 2 029,50 euros à la maison de ventes au titre des frais de stockage des trois bronzes achetés en février 2018.

Mécontente de cette solution, la maison de ventes a fait appel en contestant la requalification de la clause en clause pénale et en réclamant 54 000 euros au titre des frais de stockage. La cour d’appel d’Amiens a confirmé le jugement le 22 avril 2025. Pour cette dernière, la solution ne pouvait être renversée puisque les conditions générales de vente, non datées et à la police de caractères réduite, n’avaient pu être portées à la connaissance de l’adjudicataire. Elle prenait là une position inverse de celle du tribunal de Senlis.

Pour autant, cette décision doit être tenue comme un cas particulier et non comme une règle générale. En effet, une clause de frais de stockage ne pourra pas être requalifiée automatiquement en clause pénale si les maisons de ventes sont en mesure de rapporter la preuve que cette clause n’a pas pour finalité de sanctionner l’inexécution d’une obligation, mais correspond bien à une prestation et à des coûts réels liés au stockage, à l’assurance et la logistique. On devine l’intérêt pour les professionnels de l’art de bien vérifier la rédaction de leurs conditions générales de vente et la réalité économique du forfait lié au stockage.

Surtout, il est certain que « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées » (article 1119 du code civil). Il y a là une obligation principale – il faut porter à la connaissance des clients les conditions générales de vente – et une obligation secondaire cachée – il faut garder la preuve de cette mise à disposition. Là réside l’enjeu d’une révision du mode opératoire des professionnels pour s’assurer de la bonne application de leurs conditions générales de vente et limiter leurs risques et requalifications lors de la survenance de difficultés avec leurs clients.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : La justice encadre les frais de stockage

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