La foire de Bâle au beau fixe

La 29e édition renforce sa position dans le contemporain

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 19 juin 1998 - 1054 mots

La vingt-neuvième foire de Bâle, qui s’est déroulée du 9 au 15 juin, a confirmé le regain de santé du marché de l’art moderne et contemporain, largement soutenu par les collectionneurs américains encore venus en nombre. Cette année, les chefs-d’œuvre historiques ont été moins nombreux, mais le contemporain a été dynamisé par le secteur « Statements ».

BÂLE - En 1997, la foire de Bâle avait été portée par une conjonction de grandes manifestations internationales – Biennale de Venise, Documenta… – qui n’a lieu qu’une fois tous les dix ans. Les galeristes avaient alors sorti de leurs réserves leurs plus beaux chefs-d’œuvre. Cette année, le rendez-vous incontournable du marché de l’art moderne et contemporain était moins riche en pièces rares, même si le nouveau hall consacré à la sculpture, qui cherchait encore son public, présentait un bel ensemble d’œuvres. Ainsi, Marlborough, qui exposait un superbe triptyque de Bacon en 1997, offrait un désolant one-man show de Botero… Mais une grande toile du peintre britannique exécutée en 1952, Elephant fording a river, était proposée à un million de livres sterling (9 780 000 francs) par la Crane Kalman Gallery (Londres), nouvelle venue à Bâle bien qu’ayant fêté son cinquantième anniversaire : “C’est une question de génération, estime Andrew Kalman, le fils du fondateur de la maison. Avant, il n’était pas question de participer à une foire”. Plus loin, la galerie Gmurzynska (Cologne/Zug) présentait des projets de Robert et Sonia Delaunay pour l’Exposition universelle de Paris en 1937, tandis qu’Ursula Krinzinger (Vienne) avait abandonné les Actionnistes viennois pour un formidable one-woman show de Meret Oppenheim. Anne Lahumière (Paris) exposait une série de collages de Marcelle Cahn sur des sérigraphies de Arp au prix tout à fait raisonnable de 15 000 francs. De son côté, Pierre Huber (Art & Public, Genève) créait la sensation en habillant ses cimaises d’un papier peint pour chambre d’enfant. Ce fond étonnant accueillait des œuvres sur papier de Malevitch ou Friends (1967), des aquarelles sur lithographie de Polke à 29 000 dollars (174 000 francs). La galerie Hans Mayer (Düsseldorf), exposait une Walt Disney Production de Bertrand Lavier, haute de plus de 3,5 m, à 180 000 francs suisses (720 000 francs), tandis que la galerie Roger Pailhas (Marseille/Paris) proposait deux œuvres de Buren datant de 1965 (1,5 et 2 millions de francs).

À côté d’une sculpture de Naum Gabo – Linear Construction in space, 1970 – à 690 000 francs suisses (2,8 millions de francs), la galerie londonienne Annely Juda Fine Art présentait plusieurs projets en bois de Tadashi Kawamata, par exemple Plan pour Metz (1), pour son exposition estivale en Lorraine, à 8 200 francs suisses (32 800 francs). La foire permettait de découvrir de nombreuses œuvres récentes : chez Nächst St. Stephan (Vienne), les nouveaux supports des pièces d’Adrian Schiess à 19 000 francs suisses, ou, sur le stand de la Lisson Gallery (Londres), des personnages de Julian Opie – Fiona, 7 000 livres sterling (68 000 francs). Ses compatriotes étaient une fois encore en vedette. “J’ai choisi d’exposer à Bâle des jeunes artistes britanniques comme Gillian Wearing ou Sarah Jones, soulignait Maureen Paley, d’Interim Art (Londres). Je pense que c’est le bon moment de les montrer parce qu’ils commencent à être un peu connus”. “Les gens n’achètent que ce qu’ils connaissent”, déclarait encore Stéphane Corréard, de Brownstone, Corréard & Cie (Paris), qui présentait Ghada Amer dans le secteur “Statements”. Et, de fait, la foire réunissait un nombre impressionnant “d’artistes internationaux”. Dominique Chenivesse, chez Gilles Peyroulet & Cie, qui venait de vendre une photographie de Bustamante à 10 000 dollars (60 000 francs), assurait avoir pour clients “des collectionneurs qui constituent des ensembles”. “Bâle est le lieu où l’on rencontre la plus grande variété de collectionneurs, des jeunes, des classiques ; c’est la rencontre de différents marchés”, estimait de son côté Michel Durand-Dessert (Paris). “Nous rencontrons beaucoup de collectionneurs américains. Certains viennent même en groupe, pour des visites guidées”, précisait Iwan Wirth (galerie Hauser & Wirth, Zurich). “Pour les Américains, c’est un plaisir de venir à Bâle, relevait encore Gilbert Brownstone. En juin, il fait beau. Bâle est une petite ville européenne comme on les aime, et il y a de belles œuvres C’est une semaine de vacances formidable”. Les collectionneurs au rendez-vous, le marché semble réellement au beau fixe. “Nous avons vendu deux pièces dès le matin, alors que l’année dernière, nous en avions vendu deux durant toute la foire”, précisait Juana de Aizpuru (Ma­drid), et d’ajouter : “La situation s’est aussi améliorée en Espagne”. “Le plus dur aujourd’hui, c’est de trouver des pièces fortes”, renchérissait Iwan Wirth, qui présentait en particulier une œuvre de Dieter Roth, décédé le vendredi précédant l’ouverture de la foire.

La foire désertée à l’heure des matches
Le secteur “Statements”, rendu à lui-même, avait belle allure, de Stéphane Magnin (Art : Concept, Paris) à Max Mohr (Arndt & Partner, Berlin) ou à Leni Hoffmann (Ausstellungsraum Thomas Taubert, Düsseldorf). À l’exemple de Laure Genillard (Londres) l’an dernier, de nombreuses jeunes galeries avaient quitté la “Liste” pour la “Art”. Édouard Merino, chez Air de Paris (Paris), estime qu’“entre la foire et la “Liste”, cela change tout. Nous avons rencontré plus de gens ici en une journée que durant toute la “Liste”. Elle était bien il y a trois ans, parce que les artistes que nous montrions n’étaient pas connus”. Pour Rodolphe Janssen (Bruxelles), qui participe à la “Art”, “la “Liste” est une foire de crise. Une fois que la crise est finie, elle n’a plus grand sens et devient établie. C’est comme Gramercy à New York”. Même si elle a indéniablement baissé, la “petite” foire offrait cette année encore quelques beaux stands. Chez Valentin (Paris) avait décidé pour son baptême du feu, d’exposer un ensemble d’œuvres de Véronique Boudier, parce que “montrer une seule pièce d’un artiste, ce n’est pas significatif”. C’était cependant l’option choisie par Michel Rein (Tours), avec Pierre Thoretton, Delphine Coindet ou Timothy Mason. Mais la fréquentation ne semblait pas être au rendez-vous. “Je ne sais pas si c’est à cause du football, mais c’est très calme”, soulignait-on sur le stand de la galerie bruxelloise Mot & Van den Boogaard. Force était de constater en effet, dans les deux foires, une désertion des allées à l’heure des matches de la Coupe du monde. Même à Bâle, le sport peut l’emporter sur l’art.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°63 du 19 juin 1998, avec le titre suivant : La foire de Bâle au beau fixe

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