La flamme des bronzes

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1996 - 727 mots

Qu’ils datent du XVIIe, du XVIIIe ou du XIXe siècle, les bronzes dorés possèdent souvent une fonction commune : ils sont des auxiliaires de la lumière, ce qui permet de relier flambeaux, candélabres, lustres, appliques et même chenêts. À la fois par leur matière et leur fonction, tous participent à la magie du feu et de la lumière.

C’était en 1989. Retrouvée dans une collection étrangère, une pièce extraordinaire, la cheminée livrée par Gouthière à la comtesse du Barry, faisait une apparition remarquée à l’Hôtel George V. Faute de points de comparaison, son estimation ne pouvait qu’être assez floue, mais le verdict des enchères, lui, était net : en quelques instants, elle atteignait 5 millions de francs1. Certes, une cheminée n’est pas à proprement parler un meuble, et si nous mentionnons celle-là, c’est qu’il s’agissait d’une pièce véritablement hors du commun. Mais l’exemple montre bien que les bronzes peuvent atteindre des prix très élévés.

Pourtant, il faut souligner le lien établi de longue date entre le bronze et le feu, qu’il soit source de chaleur – chenêts, barres de foyer – ou de lumière – lustres, flambeaux, candélabres, appliques. La matière elle-même – le bronze – naît du feu et constitue le point commun entre tous ces objets, au-delà des différences stylistiques ou de nature qu’ils peuvent présenter par ailleurs.

En outre, ces objets s’apprécient en fonction de critères identiques, souvent difficiles à mesurer pour l’amateur peu averti. Relevons tout d’abord la qualité de la fonte ; une relative légèreté de l’objet permettra souvent de pencher en faveur de son ancienneté. Viennent ensuite les traits distinctifs de chaque modèle, la vigueur de sa sculpture comme celle de sa ciselure, qui doit être à la fois nerveuse et profonde. On examinera aussi la dorure, qui doit être ancienne (au mercure) et non dégradée. À titre d’exemple, il faut savoir qu’une dorure usée entraîne une décote de 10 à 15 %, tandis qu’une redorure2 fait chuter les prix d’environ 20 % si elle est exécutée à l’ancienne et de 50 % si elle a été réalisée par catalyse ; dans les cas extrêmes, la redorure maladroite d’une pièce banale ravalera celle-ci au rang de copie. Il convient enfin d’apprécier le modèle lui-même et l’équilibre général de l’objet : un sujet rare est souvent synoyme d’exécution soignée.

Privilégier les décors asymétriques
Les bronzes présentent assez rarement des marques. La signature d’un grand bronzier – Caffieri, Saint-Germain ou Thomire – leur apportera donc une plus-value d’autant plus sensible que grande est la notoriété du créateur. Signalons encore la marque dite “au C couronné”, qui correspond à une taxe perçue sur les objets en bronze entre 1745 et 1749. Elle est également génératrice de plus-value car elle indique, avec une raisonnable certitude, à la fois une création parisienne et une exécution soignée.

Bien évidemment, un bronze se doit d’être intact, mais on accepte cependant qu’une pièce – cas fréquent pour les appliques et les flambeaux – comporte des trous pour permettre le passage de fils électriques. De même, on admet volontiers que les chenêts soient “veufs” de leurs fers, ces derniers ne faisant pas véritablement partie de l’objet.

L’acquéreur potentiel doit être mis en garde contre les pièges fréquents en matière d’appliques : ceux que constituent les fausses paires, soit qu’elles comprennent une applique ancienne et l’autre d’époque postérieure, soit deux appliques anciennes mais de modèles différents. En revanche, on appréciera hautement les asymétries de décor. Toujours à propos des appliques, mais également pour les lustres ou les flambeaux, plus le nombre de bras de lumière et les dimensions de l’objet sont élevés, plus le prix s’en ressent. De même, une série de quatre appliques vaudra aisément 30 % plus cher que deux paires de qualité équivalente.

Enfin, relevons qu’à certains égards, les bronzes ne se différencient pas des autres œuvres d’art : leur production s’échelonne entre pièces de bas de gamme (les plus fréquentes) et pièces exceptionnelles, elles seules susceptibles d’apporter de véritables plus-values à l’acquéreur. Mais celui-ci devra se montrer prudent et en examiner le plus grand nombre possible afin d’éduquer son œil car, tous les spécialistes le reconnaissent, les bronzes constituent un domaine difficile entre tous.

 

1. Mes Ader,Picard, Tajan à Paris, le 5 décembre 1989.
2. Certains spécialistes émettent une opinion différente en faisant remarquer qu’au XVIIIe siècle, on faisait régulièrement redorer les bronzes pour maintenir leur éclat.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°28 du 1 septembre 1996, avec le titre suivant : La flamme des bronzes

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