Contrefaçon

La chute de la galerie Knoedler

Par Kate Deimling (Correspondante à New York) · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2013 - 774 mots

La vente de faux tableaux de grands peintres américains a entraîné la chute de la célèbre galerie new-yorkaise. Le préjudice se chiffre à 60 millions d’euros.

NEW YORK - Avant sa fermeture en novembre 2011 la galerie Knoedler était la galerie d’art la plus ancienne de New York. La galerie parisienne Goupil & Cie s’y établit en 1846, sous la direction du marchand d’art Michel Knoedler (il s’appellera plus tard Michael), qui achètera l’entreprise new-yorkaise en 1857. Knoedler vend des tableaux d’artistes tels que Manet et John Singer Sargent aux industriels américains. Au XXe siècle, la galerie domine moins le marché, mais elle représente des artistes très connus comme Frank Stella et Richard Diebenkorn dans les années 1970.

La galerie a pourtant fermé ses portes fin novembre 2011, vingt-quatre heures après avoir reçu une demande de remboursement de la part de Pierre Lagrange, un gestionnaire de fonds spéculatifs à Londres. Il avait acheté un tableau censé être de Jackson Pollock en 2007 et il ne réussissait pas à s’en défaire, les maisons de vente ayant émis des doutes quant à son authenticité. Il avait donc fait faire une analyse de la peinture, qui a révélé la présence de pigments qui n’existaient pas du vivant de l’artiste. Aussi voulait-il récupérer le prix de vente, 17 millions de dollars (12,5 millions d’euros).

Provenance fictive
Le tableau que Pierre Lagrange avait acheté à la galerie faisait partie d’une série de faux vendus par la courtière d’art Glafira Rosales, qui a plaidé coupable en septembre pour fraude, blanchiment d’argent et évasion fiscale. Elle avait affirmé avoir accès à la prétendue « collection David Herbert », une collection fictive de tableaux d’artistes tels que Robert Motherwell, Mark Rothko, Jackson Pollock, Franz Kline, Clyfford Still et Willem de Kooning. Elle avait raconté à Ann Freedman, directrice de la galerie Knoedler, que les toiles venaient d’un collectionneur anonyme résidant au Mexique et en Suisse, dont le père avait été l’amant de David Herbert, un marchand d’art new-yorkais mort en 1995. Selon un communiqué de presse du ministère de la Justice américain, la somme que Glafira Rosales devra débourser en tant que dédommagement aux victimes pourrait monter jusqu’à 81 millions de dollars (60 millions d’euros), et elle encourt jusqu’à 99 ans d’emprisonnement lors de la détermination de la peine le 18 mars prochain.

Le faussaire présumé, Qian Pei-Shen, un immigré chinois de 73 ans résidant dans le Queens, ainsi que l’ancien compagnon de Glafira Rosales, José Carlos Bergantiños Diaz, sont supposés être en fuite, selon le New York Times. La galerie Knoedler a fini par conclure un arrangement à l’amiable avec Pierre Lagrange dont les termes sont confidentiels. Mais il reste encore d’autres conséquences judiciaires dans cette affaire.

L’expertise en question
Six actions civiles sont en cours contre Ann Freedman, l’ancienne directrice de la galerie Knoedler. Parmi les plaignants figurent Domenico De Sole, président de la maison de couture Tom Ford International, qui a dépensé 8,3 millions de dollars en 2004 pour une œuvre de  Rothko, et John D. Howard, financier de Wall Street, qui a acheté un faux Willem de Kooning au prix de 4 millions de dollars en 2007. « Ann Freedman a recherché sans relâche la vérité sur ces œuvres pendant plus d’une décennie, et les yeux les plus sagaces du monde de l’art lui ont donné tout lieu de penser qu’ils avaient raison », affirme Luke Nikas de Boies Schiller & Flexner LLP, le cabinet d’avocats qui représente Ann Freedman.

Mais certains se demandent comment une marchande d’art aurait pu vendre une quarantaine d’œuvres sans documentation écrite sur leur provenance ni connaître le nom du propriétaire. La galerie Knoedler a engagé un expert, E.A. Carmean J.-R., ancien conservateur de l’art du XXe siècle à la National Gallery, qui a jugé authentiques certains tableaux de la « collection David Herbert ». Pourtant, dans un entretien accordé à la revue Vanity Fair, un marchand d’art anonyme raconte avoir trouvé les Pollock « trop parfaits, trop symétriques » lors de leur exposition au stand de Knoedler à la foire de l’Art Dealers Association of America. Jack Flam, président de la Dedalus Foundation, consacrée à l’œuvre de Robert Motherwell, a repéré des faux Motherwell dans le stock de Knoedler en 2009. Il a expliqué au New York Times que le travail du faussaire était impressionnant, puisque non seulement les tableaux, mais les cadres et le traitement des toiles aussi imitaient la pratique de l’artiste. Il ajoutait que la bonne réputation dont jouissait la galerie y était pour quelque chose aussi : « la façon dont nous regardons la réalité est extrêmement influencée par le contexte dans lequel cette réalité nous est présentée ». 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : La chute de la galerie Knoedler

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque