La Biennale des antiquaires fera-t-elle fi de la crise ?

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 septembre 2004 - 1186 mots

Après un renouvellement de ses membres, la Biennale des antiquaires arbore une tonalité XIXe inédite.

La XXIIe Biennale des antiquaires qui aura lieu du 15 au 28 septembre affiche un taux de renouvellement important de ses exposants. Avec le départ de vingt-sept exposants parmi lesquels quelques poids lourds britanniques, la manifestation est singulièrement française. Flore de Brantes qui devait faire son entrée s’est désistée cet été, sans doute face à la difficulté de réunir une marchandise « fraîche » d’ici le vernissage. Gageons que les redites seront nombreuses cette année…
La grande tâche sera de convaincre les Américains de renouer avec les cieux parisiens. Le salon londonien de Grosvenor House en juin dernier n’a vu que peu de clients américains alors que Londres est leur avant-poste en Europe. Les prix « Biennale », souvent bien « frappés », seront-ils révisés à la baisse pour adoucir la disparité dollar-euro, désavantageuse pour les Américains ? « Les beaux objets d’art n’ont pas connu de récession. Lorsque vous êtes antiquaire, vous êtes obligé de payer très cher les objets. Il n’y a pas de déflation », rétorque l’antiquaire Jacques Perrin, président de la Biennale. Question décor, la Biennale a judicieusement remisé toutes velléités « d’animations lumineuses », confiant au décorateur François-Joseph Graf le soin d’harmoniser l’ensemble. Elle a aussi choisi de développer trois tables rondes sur les questions du marché en conviant aussi les commissaires-priseurs. « Avec la réforme des ventes publiques et la création de sociétés commerciales et les possibilités de ventes de gré à gré, peut-être doit-on maintenant considérer
les commissaires-priseurs comme des antiquaires », rappelle le président du Syndicat national des antiquaires, Christian Deydier.
Dans la section du XVIIIe siècle, Bernard Steinitz, l’antiquaire au regard d’ogre et au talent indiscuté, organise son stand foisonnant autour de la notion de provenance. On y remarque une armoire de l’ébéniste Cressent en placage d’amarante de la collection du baron Sellière et de Rodolphe Kann répertoriée dans le livre d’Alexandre Pradère sur l’ébéniste. La galerie Didier Aaron affiche aux alentours de 650 000 euros un lustre à huit branches en bronze doré attribué à André-Charles Boulle d’après un dessin de Daniel Marot et un grand guéridon en bois doré à plateau de porphyre réalisé vraisemblablement pour le cardinal Fesch pour environ 400 000 euros. Le cartel du XVIIIe siècle accueille aussi en son sein une nouvelle recrue de la rive gauche, Anne-Marie Monin, spécialisée dans les objets de charme. Elle présente notamment une commode romaine en bois laqué à décor de paysage chinois qui trouve naturellement sa place sur un fond de papiers peints chinois. Une fois n’est pas coutume, le socle des spécialités a été étendu au XIXe siècle, habituel parent pauvre de la Biennale. Une heureuse extension du champ des spécialités qui permet de revoir François Fabius après trente ans d’absence. Amateur de pièces très architecturées, son stand brille par la qualité des objets telle cette paire de vases Médicis de la manufacture de Sèvres offerte par Napoléon à son jeune frère Jérôme. Il en coûtera 1,2 million d’euros à l’amateur de ce travail tout en finesse. Sur ses brisées, la jeune Roxane Rodriguez montre un meuble à deux corps d’Édouard Lièvre, créateur rarissime inspiré du japonisme en vogue vers la fin du XIXe siècle. La Parisienne Ariane Dandois décline une facette plus précoce du XIXe siècle. Après avoir organisé en 2000 une exposition sur « l’Empire à travers l’Europe », dont elle amène plusieurs pièces, elle déploie pour 385 000 euros
une belle console en acajou et bois doré de Jacob Desmalter dont elle a attribué les bronzes à Thomire.
Avec le départ de Dutko et d’Olivier Watelet et l’arrivée de Patrick Seguin, les arts décoratifs du XXe siècle semblent se stabiliser.
Bien plus que le XVIIIe siècle, l’Art déco, dont la production fut courte, connaît une pénurie de beaux objets. Dans un espace agencé par Jacques Grange, les duettistes de la galerie L’Arc en Seine déploient une paire de meubles de Ruhlmann modèle Stelcavgo dite bibliothèque à godrons en ébène de Macassar.
La galerie Downtown offre une série de meubles en écho à son exposition autour des meubles de Charlotte Perriand à Rio de Janeiro.
Le Bruxellois Philippe Denys fait défiler les artistes italiens et scandinaves, avec un lustre en verre de Seguso et un piano de Poul Henningsen initialement prévu pour la Foire de Maastricht.
Au niveau des objets d’art, on peut relever une tapisserie de la Manufacture royale de Beauvais du début du XVIIIe siècle présentée par la galerie Chevalier. Baptisée Les Astronomes, cette pièce aux teintes très fraîches est issue de la tenture de l’empereur de Chine.
Les Chevalier partageront leur stand avec l’antiquaire Guy Ladrière, dont l’œil aquilin a comblé de nombreux musées. Parmi les pièces de résistance, il présente une terre cuite de Jean Thierry représentant Ulysse devant Circé, un sujet rarissime en sculpture.
Bien que la Biennale soit plutôt le royaume du meuble, la qualité des tableaux reste de bonne tenue.
Éric Coatalem présente une Nature morte aux raisins, fleurs et pêches dans un compotier, composition luxuriante d’Alexandre-François Desportes au prix de 250 000 euros. À ne pas rater chez Bob Haboldt une Nativité par Fra Bartolomeo acquise par Louis XII et qui aurait disparu des collections royales avant 1625. Jusqu’à sa récente redécouverte, on la croyait perdue ou détruite. Antoine Laurentin a réussi à décrocher quelques belles œuvres sur papier, notamment une suite de dessins rarissimes de Julio Gonzalez. La galerie Berès, qui a choisi de renforcer pour l’occasion son secteur moderne, affiche une huile d’Auguste Herbin de 1912.
La galerie Schmit présente trois aquarelles de Delacroix issues d’une collection privée et un grand intérieur de Braque. Le secteur moderne voit l’arrivée de Bernard Prazan, inlassable défenseur de
la seconde école de Paris. Seul spécialiste de la période convié dans le saint des saints, il arbore une superbe composition de Pierre Soulages de 1959. Cette œuvre sera flanquée d’une composition de 1953 de Jean-Paul Riopelle et d’une huile de Hans Hartung, l’ensemble pour des valeurs situées entre 20 000 et 500 000 euros.
Si Alain de Monbrison a tiré sa révérence pour participer au moins coûteux Kaos, parcours des mondes, son confrère Bernard Dulon y fait sa première entrée. Jacques Barrère reprend aussi le chemin du salon qu’il fait en moyenne tous les quatre ans.
Le morceau de choix sera une sculpture en marbre représentant une guanyin du début de la dynastie Tang (début VIIe siècle), proposée pour 400 000 euros. Bien que l’avant-bras droit soit cassé,
cette pièce compte en sa faveur une qualité de sculpture aboutie, une position assise en délassement extrêmement rare, et une inscription indiquant le cadeau d’un gendre à sa belle-mère.
Grande première, le nombre des joailliers a chuté. Autrefois installés aux premières loges, ces derniers ont été renvoyés en mezzanine, un espace bâtard, souvent critiqué. Mais depuis quelque temps les antiquaires défendent leur pré carré rogné par les bijoutiers prompts à séduire madame au détriment de monsieur...

La Biennale des Antiquaires, 15-28 septembre, PARIS, Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, Ier. Syndicat national des antiquaires : tél. 01 44 51 74 74, www.biennaledesantiquaires.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°561 du 1 septembre 2004, avec le titre suivant : La Biennale des antiquaires fera-t-elle fi de la crise ?

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