ART CONTEMPORAIN

Klasen en grande conversation

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2018 - 695 mots

Le pionnier de la Figuration narrative rend hommage à ses maîtres « de la radicalité », Malevitch, Mondrian et Schwitters, avec une série d’œuvres récentes à la galerie Eva Hober.
Paris. De tous les hérauts de la Figuration narrative (Arroyo, Erró, Monory, Rancillac, etc..), Peter Klasen (né en 1935) est sans doute celui que l’on a le moins vu ces dernières années à Paris, tout du moins en galerie. Pour preuve, sa dernière exposition remonte à 2014 chez Laurent Strouk. Son « retour » est d’autant plus significatif qu’il marque d’une part l’entrée de l’artiste chez Eva Hober à sa nouvelle adresse (156, boulevard Haussmann, 8e arrondissement, inaugurée en septembre 2017) et que l’exposition présente, d’autre part, vingt-cinq œuvres inédites, dont certaines spécialement et minutieusement pensées en fonction de l’espace.

Klasen chez Eva Hober ? Dans l’avant-propos du catalogue, publié pour l’occasion, la galeriste rappelle qu’en 1991, à l’âge de 14 ans, alors que ses parents l’emmenaient pour la première fois à la Fiac, elle avait été marquée par le solo show de Peter Klasen qui, sur le stand de la galerie Louis Carré, présentait son fameux Shock Corridor/Dead End. C’est dans cet esprit qu’à la fin de l’été dernier, elle a écrit à l’artiste qui, quelques rencontres plus tard, lui répondra de façon positive. Aucun opportunisme, ni aucune volonté de suivre cette tendance qui, depuis quelques temps, voit des galeristes quadragénaires s’intéresser à des artistes d’une autre génération. Simplement la réalisation d’un rêve qui conjugue au présent le souvenir d’une découverte fulgurante.

Nouvelle rencontre au sommet
L’exposition est explicitement titrée « Dialogue avec les maîtres. Kasimir Malevitch, Piet Mondrian, Kurt Schwitters ». Ce n’est pas la première fois que Klasen s’intéresse à de grands artistes du passé : « Depuis mes débuts, j’ai toujours commenté Duchamp, Léger, Schwitters. On trouve des traces de ces références et de ces regards successifs tout au long de ma carrière », précise-t-il. En 2010, il a même commencé la série des hommages aux grands maîtres, ponctuée l’été 2015 par une exposition à L’aspirateur à Narbonne, consacrée au Tintoret, au Greco, à Friedrich. Alors pourquoi ici Malevitch, Mondrian et Schwitters ? « Parce que ces trois-là sont allés au plus loin de l’extrême, leur radicalité m’a toujours fasciné », indique Klasen, qui n’a pas pour autant abandonné, loin de là s’en faut, le vocabulaire si caractéristique de son travail. Avec une maîtrise magistrale, il l’a simplement conjugué au langage des aînés choisis.

On retrouve donc aussi bien ses signes iconiques, panneaux d’interdiction, sens interdits, flèches, éclairs indiquant le danger, objets divers collés sur la toile, manomètres, chaînes en plastique, bouts de bois, mais ils sont ici mis en subtil et permanent dialogue avec l’écriture des trois maîtres, et notamment aux formes géométriques du suprématisme. De même Klasen est resté attaché à la même technique qui, depuis plus de dix ans, le voit utiliser des technologies numériques pour imprimer sur toile les différents éléments qu’il a présélectionnés, notamment des fragments de ses propres photos qui ont toujours constitué le point de départ de son travail. Ces toiles, sur lesquelles il intervient ensuite en peignant à la brosse, au pinceau ou avec son fidèle aérographe et en les enrichissant de divers collages et ajouts d’objets. Il ressort de ces télescopages et superpositions de figures géométriques et d’images très diverses, l’impression d’une belle bataille entre ce qui relève de l’ordre, de l’ordonnancement réfléchi et à l’opposé d’un désordre calculé. À l’image de notre environnement quotidien dans les grandes villes, avec son érotisme, ses enfermements, ses interdits, ses dangers, dont s’est toujours inspiré Klasen. Ce qu’il rappelle d’ailleurs en un joli clin d’œil dans le bureau d’Eva Hober avec la présentation de sept toiles des années 1960, qui n’avaient encore jamais été mises en vente, ni même présentées en galerie et dont il a accepté pour la première fois de se séparer. Elles sont évidemment les plus chères, entre 70 000 et 150 000 euros, alors que les récentes vont de 23 000 à 58 000 euros. Ce qui semble plus que raisonnable pour un artiste de cette importance, qui depuis près de soixante ans a multiplié les expositions et les rétrospectives, et figure aujourd’hui dans de nombreuses collections publiques et privées dans le monde.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : Klasen en grande conversation

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