Les grandes ventes de New York

Impressionnistes, modernes et contemporains : la preuve par neuf

La confiance semble revenue aux États-Unis

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 839 mots

Un Jasper Johns digne d’un musée, jadis dans la collection de Leo Castelli, un Gauguin jamais apparu sur le marché américain, un Mondrian londonien et un Severini sont les vedettes des ventes aux enchères américaines prévues du 3 au 11 mai.

NEW YORK - Une preuve par neuf. Voilà ce que seront les prochaines ventes programmées par Christie’s et Sotheby’s pour la première quinzaine de mai à New York. Les résultats de ces ventes, qui seront les plus importantes de l’année avec celles de novembre, nous aideront à faire le point, du moins à l’échelle internationale, à propos du marché des œuvres impressionnistes, modernes et contemporaines. Après les ventes d’"échauffement" de février et mars, les deux sociétés se sont préparées au rendez-vous new-yorkais en éditant des catalogues d’un grand intérêt, dont les résultats influenceront certainement un marché qui renaît péniblement de ses cendres après la période noire des années quatre-vingt.

Comme l’a montré la dernière série de ventes importantes, celle de novembre, la confiance semble revenue en Amérique et avec elle aussi l’envie d’acheter. Le cocktail imaginé par les experts des deux sociétés, un mélange d’œuvres d’excellente qualité et d’autres déjà vues (rendues toutefois plus attirantes par une révision drastique des estimations), le tout renforcé par des œuvres toutes fraîches (pour le marché, naturellement), devrait produire son effet cette fois encore et préparer le terrain aux rendez-vous fixés en juin à Londres.

Après la séance inaugurale de Christie’s du 3 mai, le 4 mai ce sera le tour de Sotheby’s qui mise tout sur une grande composition de Jasper Johns, Highway (encaustique et collage sur toile), peinte en 1959, année où virent le jour trois autres chefs-d’œuvre authentiques de l’expressionnisme abstrait de Johns, False Start, Jubilee et Out the Window (tous vendus entre 1986 et 1991 par Sotheby’s). Highway (190,5 x 154,8 cm) figura parmi la seconde exposition que Castelli consacra en 1960 à l’artiste. Tous s’étaient rencontrés dans le loft de Rauschenberg en 1957. Ayant appris que Johns avait son atelier juste à côté de sa galerie, Castelli demanda à lui rendre visite. Il choisit une Bandiera pour une société et dès lors, devenu conseiller de l’artiste, il en fut aussi un collectionneur passionné.

Highway a fait partie de la collection privée de Leo Castelli pendant vingt et un ans. Inspirée par une course de voitures de nuit dans les rues de New York, la peinture joue sur les couleurs qui évoquent les phares des automobiles déchirant les ténèbres (le rouge, le jaune et le bleu), mais aussi sur les nuances du gris, du noir, du vert et du rose. L’estimation avancée est de 8 millions de dollars (46 mil­lions de francs). Le catalogue de Sotheby’s propose en outre quelques œuvres provenant de la collection des époux Gates Lloyd. Lui était banquier à Philadelphie et directeur adjoint de la Central Intelligence Agency ; elle avait fondé en 1950 la Washington Gallery of Modern Art et était aussi membre de l’Advisory Board de l’Institute of Contemporary Art de l’Université de Pennsylvanie. Les époux Gates Lloyd peuvent être considérés à juste titre comme des pionniers en ce qui concerne les amateurs de l’art d’après la guerre.

Parmi les artistes rassemblés par eux figurent des noms comme Arshile Gorky, dont est mis aux enchères Dark Green Painting, la dernière grande toile peinte par l’artiste avant sa mort en 1948, ou bien encore une sculpture monumentale de Calder, The Haverford Monster, commandée personnellement à l’artiste qui, pour l’exécuter en 1944, combina ses diverses évolutions stylistiques et structurales, c’est-à-dire qu’il réunit le "stable" au "mobile" (5,5 à 4,3 millions). La semaine suivante, c’est de nouveau Christie’s qui ouvrira la série de ventes consacrées aux œuvres impressionnistes et modernes.

Le 10 mai, en soirée, sept peintures importantes, présentées dans un catalogue à part, affronteront le marché américain après avoir été conservées pendant plus de trente ans dans une collection privée européenne. Un Gauguin, deux Picasso, un Vlaminck, un Léger et un dessin de Cézanne, devraient totaliser plus de 15 millions de dollars (87 millions environ). Parmi les peintures les plus significatives, L’Aven à travers Pont-Aven, de Gauguin, est estimé 25 à 35 millions. Sont également mis en vente deux Picasso : Violon, bouteille et verre de 1913 (19 à 28 millions) et La Couseuse, de 1906 (8 à 12 millions). D’une autre provenance un important Severini, de 1914 : Simultanéité de groupes centrifuges et centripètes (Femme au balcon) pour lequel on avance une estimation de 12 à 17 millions.

Lors de la séance en soirée de Sotheby’s, prévue pour le 11 mai, se trouvent en revanche des œuvres provenant de la collection Gates Lloyd comme le Mondrian, Composition, de 1939-42, l’une des toiles que l’artiste (dont on commémore le cinquantenaire de la mort) emporta avec lui quand il quitta Londres pour New York (plus de 15 millions). Dans le catalogue figure aussi un bronze de Henry Moore, Festival Reclining Figure, de 1951. Premier exemplaire d’un tirage de cinq, il fut acheté par les Lloyds en 1953 directement à l’artiste et est estimé 7 millions.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Impressionnistes, modernes et contemporains : la preuve par neuf

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