Grâces abyssines

L'ŒIL

Le 1 juillet 2004 - 419 mots

Il est piquant de découvrir une œuvre hors de son contexte. Qui est cet « Abyssin », qui est son auteur Johannes Bjerg ? Lorsque la séduction opère sans rime ni raison, il est toujours temps ensuite, d’en savoir plus. Tel notre danseur à la posture énigmatique. Contraposto antique et déhanchement chorégraphique, réthorique discrète des mains. Il y a de l’Égypte, de l’Afrique, de l’Antique dans cette virilité ondoyante où le regard coule et glisse sur un corps sans aspérités. Moment de repos, de retrait que poursuit une autre représentation du modèle, grandeur nature, restée dans l’atelier de l’artiste et passée en vente à Copenhague : cette fois les avant-bras esquissent le geste pieux accompli par l’orant de Berlin. La simplification géométrique des formes fait penser aux débuts de la modernité.
Voilà déjà une quinzaine d’années qu’Yves Gastou collectionne la sculpture néoclassique du XXe siècle, quelle qu’en soit la paroisse : de Delamare à Janniot, d’Arno Brecker à Herbert Ward. Français oubliés, étrangers inconnus ou ignorés.
Les Danois dans les domaines du mobilier et de l’architecture sont restés fidèles tout au long du XIXe siècle au néoclassicisme qui refleurit dans les années 1905. Dans le domaine de la sculpture, l’influence de Thorwaldsen, dont le palais musée installé au cœur de la ville laisse imaginer à Carl
Jacobsen, le fondateur de la Ny Carlsberg Glyptotek une « renaissance » de la sculpture classique nordique qu’il encourage en ouvrant en 1906 les salles de sculpture antique. Formé en 1907 comme sculpteur sur bois, Johannes C. Bjerg abandonne très vite la gouge et l’herminette pour la terre et la pierre et suit les cours de l’Académie royale des beaux-arts. En 1911, une bourse lui permet de se rendre à Paris où on lui connaît un atelier boulevard Saint-Jacques. Il entre en contact avec le groupe de la Section d’or et subit l’influence d’August Agero, sculpteur partagé entre l’expressionnisme et un rendu géométrique du corps. C’est lui qui lui fera connaître l’Abyssin.
Les petits bronzes parisiens de Bjerg témoignent d’une fluidité que la ciselure et la patine renforcent. Nous retrouvons les membres en fuseaux de Pâris (1914) dans l’Abyssin puis dans une Lucrèce. Un Pan de 1919 reprend la pose de Nijinsky dans L’Après-Midi d’un faune (1912). Les formes s’épaississent et se raidissent avec le temps (Athlète pensif de 1932) ; Bjerg devient sculpteur officiel, multiplie les bustes et les monuments commémoratifs et orne les bâtiments publics d’allégories athlétiques. Mais il restera toujours fidèle, dans sa petite sculpture, à ses convictions de jeunesse.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : Grâces abyssines

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