Vice caché

Expert, juge et partie, un arbitrage délicat

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 avril 2005 - 791 mots

La Cour de cassation a annulé un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait rejeté la demande d’annulation de la vente d’un tableau de Camille Claudel pour défaut d’authenticité.

Par moments, le marché de l’art circule sur la tête et les juges doivent avoir le droit bien accroché pour l’appliquer sans état d’âme.
La cour d’appel de Versailles pouvait avoir quelques vertiges au moment de se prononcer sur la demande d’annulation d’un expert qu’elle sollicite habituellement pour se prononcer sur l’authenticité d’œuvres d’art.
Dans la circonstance, l’expert se plaignait d’avoir acheté, en février 1993, un tableau de Camille Claudel dépourvu d’authenticité. Complexité additionnelle : l’expert acheteur – par ailleurs spécialiste des sculptures de Claudel et plus généralement du dépistage des faux – s’était vu confier le tableau par un neveu de l’artiste, en vue de restauration et de vente. Perplexité complémentaire : la pièce répertoriée authentique dans le catalogue raisonné de l’œuvre de l’artiste dressé par sa nièce en 1990 ne l’était plus en 1996 dans le catalogue établi par d’autres auteurs. Et, pour compléter le tout d’une touche d’approximation déontologique, l’expert avait acheté 600 000 francs l’œuvre qui lui était confiée, pour la revendre aussitôt 1 000 000 francs : une large « commission » pour un dépôt-vente effectué sans doute dans la confiance par le vendeur.
À ces circonstances tortueuses s’ajoutait une argumentation juridique qui ne l’était pas moins. L’expert, averti de la jurisprudence française sur la nullité pour erreur, ne pouvait ignorer que l’un des motifs susceptibles d’entraîner le rejet de sa demande était l’erreur inexcusable et que, en l’espèce, les circonstances ne lui étaient pas favorables. Il avait donc également invoqué un vice caché de l’œuvre (art. 1641 du code civil sur les garanties dues par le vendeur) pour demander la résolution de la vente.

Déontologie ou droit ?
La cour d’appel l’avait débouté sur ces deux motifs. Tout d’abord sur le vice caché, en s’inscrivant dans la jurisprudence établie qui ne considère pas que le défaut d’authenticité comme rendant l’œuvre « impropre à l’usage auquel on la destine ». Ensuite, en considérant qu’il y avait faute inexcusable de l’acheteur, « restaurateur d’art et expert agréé, spécialiste de dépistage des faux et des contrefaçons artistiques comme mentionné sur ses documents professionnels », au surplus spécialiste des sculptures de Camille Claudel, dont il avait réalisé trois expertises pour le compte du vendeur lors d’une visite qui s’était soldée par le dépôt-vente du tableau incriminé. La circonstance de la revente du tableau avec une marge importante avait également été retenue par la cour d’appel comme participant de l’erreur inexcusable.
On peut aussi penser que la cour d’appel avait en tête qu’il s’agissait d’un expert inscrit sur ses propres listes et que, en l’occurrence, son comportement n’avait pas été exemplaire. Elle se souvenait peut-être également d’une affaire mettant en cause le même expert (arrêt de la cour d’appel de Paris du 22 février 2002, confirmé par la Cour de cassation le 13 juillet 2004 [lire le JdA n° 205, 17 décembre 2004]), qui avait « glissé » dans la traduction japonaise du catalogue raisonné de l’œuvre de Camille Claudel une sculpture lui appartenant.
Dans ce sens, l’arrêt pouvait être une sanction.
La Cour de cassation a accepté l’argumentation des juges d’appel sur le vice caché. Elle en a profité pour faire un rappel de sa jurisprudence, en exposant que « l’erreur sur une qualité substantielle, lorsqu’elle ne s’analyse pas en une défectuosité intrinsèque compromettant l’usage normal de la chose ou son bon fonctionnement, n’est pas un vice caché et ne donne donc pas naissance à la garantie afférente ». La Cour observait en outre, à propos de la double action intentée par l’expert, que « la cour d’appel, en relevant que les deux demandes formulées [par l’expert acheteur] se fondaient sur l’erreur commise par lui quant aux qualités substantielles de la chose qu’il avait achetée, a fait ressortir qu’elle était saisie d’un vice ayant affecté la formation même du contrat, et non, à titre autonome, d’une délivrance ultérieure non conforme ». CQFD 1.
La Cour de cassation a en revanche censuré la conclusion des juges d’appel sur l’erreur inexcusable, en estimant que, en ce qui concerne la toile, l’expert acheteur « était intervenu à des fins autres qu’une certification de la toile litigieuse, déjà formellement reconnue comme étant de Camille Claudel » dans le catalogue raisonné de 1990 établi par une experte et spécialiste de ses œuvres, et que « cette certification n’était en rien démentie à l’époque de la vente ». CQFD 2.
La Cour de cassation a renvoyé la cause devant la cour d’appel de Paris.
Il est difficile de juger dans le petit monde de l’art.

(Cass. Civ.1, 14 décembre 2004. Arrêt n° 1832 FS-P B)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°212 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Expert, juge et partie, un arbitrage délicat

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