Détournement

Éros et Gianakos

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2015 - 514 mots

Les mines réjouies et polissonnes des personnages de Gianakos déboulent pêle-mêle à la Galerie Sémiose.

PARIS - 77 ans, admiré par Roy Lichtenstein (et réciproquement) et en même temps proche d’Elaine Sturtevant, dans la lignée du pop art tout en en étant assez éloigné sur le fond, ami de Woody Allen, compagnon de route de William Copley et de Peter Saul, présent dans d’importantes collections privées et publiques (rien qu’à New York : MoMa, Brooklyn Museum, Solomon R. Guggenheim Museum, Whitney, etc.), attentivement regardé par les jeunes artistes : malgré tout cela, Steve Gianakos (né en 1938 à New York) est inconnu en France où il n’avait jusqu’à ce jour jamais exposé. Il passe pourtant chaque année par Paris avant de se rendre en Crète (il a des origines grecques), où il séjourne trois mois par an (il vit le reste du temps à New York). Il n’est d’ailleurs guère plus connu en Europe, où son plus grand fait de gloire est d’avoir participé à l’exposition collective (d’ailleurs aux côtés de Copley, Saul, Artschwager…) « Exile on Main Street » au Bonnefantenmuseum de Maastricht en 2009. On ne peut en conséquence pas vraiment dire que Gianakos ait fait des pieds et des mains pour exposer à Paris. Benoît Porcher, le fondateur et directeur de la galerie Sémiose a d’ailleurs mis cinq ans pour monter cette exposition : il y tenait et était « très intéressé par cet artiste de la marge, d’autant plus [qu’il a] toujours pensé que l’histoire de l’art se fait aussi par les côtés », précise-t-il.

Millefeuille d’inspiration pop
Quinze dessins sont ici réunis et c’est justement en regardant leurs marges, leurs bords, que l’on comprend comment l’artiste aborde cette discipline, principalement à partir de photocopies : celles qu’il fait, choisit, découpe, assemble, repeint par endroits, reproduit même souvent dans plusieurs dessins et qui prennent pour sujets l’iconographie de la culture populaire américaine, des magazines, des comics, des photographies. Le lien de famille avec les artistes pop s’arrête d’ailleurs là. Gianakos prend, lui, l’option de l’humour, l’ironie, la dérision, voire carrément du mauvais goût et évite la moindre glorification de quoi que ce soit.

D’une œuvre à l’autre, la même chaise sur laquelle est assis le même corps de femme aux seins nus, mais surmonté d’une bouille de canard dans un dessin peut se retrouver dans la toile suivante surmontée d’une tête peinte par Picasso, et être déclinée ensuite en plusieurs planches. Les détournements et clins d’œil à l’histoire de l’art sont fréquents, comme en témoigne encore cette chaise « duchampienne » surmontée d’une paire de fesses et de jambes nues à l’envers, les pieds semblant jouer au ballon avec une sorte de « tête à Toto ». Il est clair que Gianakos s’amuse avec ses juxtapositions, ses télescopages, ses mélanges inattendus d’éléments pour créer des saynètes surréalistes, érotiques, quelquefois proches de la caricature et installer, derrière une apparente naïveté, un climat souvent grinçant. Les prix, eux, ne font justement pas grincer des dents  pas, allant de 5 000 à 13 000 euros, et restent raisonnable pour un artiste de cette génération.

STEVE GIANAKOS, jusqu’au 11 avril, Galerie Sémiose, 54 rue Chapon, 75003 Paris, tél.09 79 26 16 38, www.semiose.com, mardi-samedi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Éros et Gianakos

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