Entretien avec Johann Levy, marchand et expert en arts primitifs et précolombiens, Paris

« Les gens achètent avec leurs oreilles… »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2011 - 677 mots

JDA : Quel a été votre parcours avant l’ouverture de votre première galerie en 1997 ? 
Johann Levy : J’ai démarré en 1989 à Paris auprès de Bernard Dulon et me suis rapidement passionné pour les arts africains et précolombiens. Fin 1991, je suis parti en Amérique du Sud, puis en Afrique, pour enrichir mes connaissances. Lors de mes passages à Paris, je chinais des objets que je vendais en chambre, essentiellement à des marchands et quelques collectionneurs.

Ces voyages vous ont-ils mené à faire des découvertes ?
J.L.
:
J’ai eu l’occasion de rapporter, entre autres, un ensemble de masques heaumes des sociétés secrètes féminines du Bundu (Sierra Leone). J’ai aussi réalisé qu’il y avait des corpus entiers qui restaient à faire découvrir et qui étaient les parents pauvres du marché de l’art primitif, tout simplement parce qu’ils étaient moins connus, donc moins reconnus.

À quels corpus pensez-vous ?
J.L.
:
Je pense notamment à mon travail sur les Pomdo, Mahen Yafe et Nomoli, ces sculptures en pierre découvertes chez les Kissi et les Mende du sud de la Guinée et de la Sierra Leone et datant d’avant le XVIe siècle. J’en avais rassemblé une cinquantaine que j’ai exposée en 2003. Cette exposition a été suivie d’une autre sur la sculpture en bois dans l’ancien Pérou en 2006, et en 2009, la plus inattendue, sur les Boliw du Mali, sculptures aux pouvoirs extraordinaires jusqu’à présent trop craintes (y compris des Occidentaux) pour être exposées. Je m’enorgueillis d’avoir mis en lumière ces différents corpus lors d’expositions accompagnées de publications qui furent aussi saluées par les chercheurs et les conservateurs.

Pour quelles raisons avez-vous fermé votre galerie l’an dernier ?
J.L.
:
Je voulais me rendre plus disponible pour des projets à la fois personnels et professionnels. J’ai eu besoin de me ressourcer pour m’ouvrir à d’autres cultures artistiques. Je recommence à voyager, notamment en Asie. Je reste expert pour quelques commissaires-priseurs et fais du conseil pour de rares collectionneurs, tout en travaillant sur des projets muséaux.

Comment analysez-vous l’évolution du marché des arts primitifs ?
J.L.
:
Il y a vingt ans, il y avait surtout des amateurs dans le sens noble du terme. On apprenait autant avec les collectionneurs qu’avec les marchands qui partageaient cet esprit de curiosité, animé d’une vraie passion. Depuis la vente de la collection Goldet à Paris en 2001, l’esprit de spéculation préoccupe le marché. On ne parle plus que d’argent et les gens achètent avec leurs oreilles. C’est regrettable.

Quelle passion vous anime ?
J.L.
:
Ce qui me passionne, c’est l’art, mais aussi de transmettre. La conservation et la transmission de ces patrimoines incombent autant aux marchands, qu’aux institutions et aux collectionneurs. Aussi je m’inquiète de la réponse positive des politiques aux demandes de restitutions. Notamment, j’espère que le cas particulier des têtes maori ne constituera pas un précédent pour d’autres restitutions. C’est un déni au vu de l’histoire qui témoigne d’une volonté d’amnésie générale. Cela va totalement à l’encontre de la mission même du musée. Regardons par ailleurs ce qui s’est passé récemment en Égypte et imaginons que nous ayons répondu positivement aux demandes de restitutions…

Les demandes de restitutions touchent également les collections privées…

J.L.
:
Lorsque j’avais organisé mon exposition sur les objets en bois du Pérou dont la plupart étaient conservés dans d’anciennes collections, j’avais fait la démarche auprès du service de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels de vérifier la légalité de ces pièces au regard de la convention de l’Unesco de 1970. Mais celle-ci mériterait d’être assouplie ou aménagée, car elle a des effets pervers allant à l’encontre du but recherché. En effet, il existe un nombre important d’objets conservés chez des particuliers, sortis des pays d’origine avant 1970. Mais leurs propriétaires actuels n’ayant pas de documents pouvant l’attester s’interdisent de les montrer ou de les prêter, pour des expositions par exemple. Et cela conduit malheureusement des pans entiers de patrimoine mondial à la déshérence, à l’oubli et au marché noir.

Johann Levy, tél. 01 43 25 24 64, johann.levy@free.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Entretien avec Johann Levy, marchand et expert en arts primitifs et précolombiens, Paris

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