Entretien avec Catherine Trautmann

« Nous avons voulu adresser un signal positif » au marché

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 1999 - 1736 mots

Catherine Trautmann s’explique à propos des aménagements apportés au projet de loi initial sur les ventes publiques.

Dans cet entretien, Catherine Trautmann confirme que le gouvernement va renoncer à la taxe de 1 % qui devait être prélevée sur le produit des ventes pour financer l’indemnisation des commissaires-priseurs. “Le gouvernement a souhaité adresser un signal positif en faveur des professionnels”, nous déclare-t-elle. En revanche, elle souhaite convaincre les députés de revenir au fondement envisagé initialement pour cette indemnisation. De même, à propos de la composition du Conseil des ventes, elle considère que “le texte voté par le Sénat favorise les professionnels au détriment des personnes qualifiées et rompt ainsi l’équilibre indispensable”. Pour les ventes sur l’Internet, il lui “paraît exclu qu’un nouveau monopole puisse être constitué” dans le cadre européen. Enfin, la ministre de la Culture se prononce en faveur d’un assouplissement de la législation sur la protection du patrimoine : la durée du certificat de libre circulation pourrait être allongée à 25 ans pour les objets de moins de 100 ans, et avoir une durée illimitée au-delà.

Le Sénat a adopté plusieurs amendements, souvent contre votre avis. Maintenez-vous l’ensemble de vos oppositions et, dans ce cas, comment les justifiez-vous pour convaincre les députés de revenir au projet initial ?
Un travail très constructif a été accompli avec les commissions des Lois, des Affaires culturelles et des Finances du Sénat, et les débats du 10 juin ont été riches et ont permis d’améliorer le texte sur un certain nombre de points. Certaines questions très importantes demeurent cependant en discussion, et le gouvernement est bien décidé à défendre le projet de loi présenté par Madame le garde des Sceaux.

Financement de l’indemnisation
Au sujet de l’indemnisation, le texte du gouvernement prévoyait que son financement serait assuré par une taxe de 1 % prélevée pendant une durée maximale de cinq ans sur le produit des ventes aux enchères, ventes volontaires et ventes judiciaires. Le Sénat a demandé la suppression de cette taxe. Sur ce point, en s’en remettant à la sagesse du Sénat, le gouvernement a souhaité adresser un signal positif en faveur des professionnels du marché de l’art.

Fondement de l’indemnisation
Pour le gouvernement, l’indemnisation des commissaires-priseurs trouve son fondement dans la rupture de l’égalité devant les charges publiques. En effet, le droit de présentation, qui subira une dépréciation du fait de la réforme, n’est pas un droit de propriété. Par ailleurs, les commissaires-priseurs pourront continuer à exercer, sous une forme juridique différente, les mêmes activités et céder, s’ils le souhaitent, les parts qu’ils détiendront au sein des sociétés de vente. Le Sénat a retenu un fondement différent, qui est celui de l’expropriation. Les débats à venir permettront, je pense, de convaincre le Parlement de la justesse de notre analyse.

Conseil des ventes
Je vous indique que ce Conseil constitue une autorité de régulation du marché. À ce titre, il doit être impartial et composé de personnes compétentes en matière de ventes aux enchères. Le texte voté par le Sénat favorise les professionnels au détriment des personnes qualifiées, et rompt ainsi l’équilibre indispensable dans la composition du Conseil des ventes. Par ailleurs, l’élection des représentants des professionnels à ce Conseil est malaisée à mettre en place, notamment du fait de l’absence d’organisations représentatives des sociétés de vente volontaires.

Prescription des actions engagées à l’occasion des ventes
Le gouvernement souhaite unifier les délais de prescription en matière de responsabilité contractuelle et délictuelle. Le Sénat a considéré qu’il convenait d’aligner sur le même régime toutes les actions engagées à l’occasion des ventes, dont les actions en nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles. Le gouvernement ne peut accepter cet alignement dans la mesure où les actions en nullité ne sont pas spécifiques aux ventes aux enchères, et il ne me paraît pas opportun de modifier, à l’occasion des ventes aux enchères, l’ensemble des régimes de prescription qui touchent à des principes généraux du droit civil et ont, ainsi, une portée qui va bien au-delà de la présente réforme.

Nouvelles techniques de ventes
Le gouvernement, ainsi que vous le savez, a introduit de nouvelles techniques de vente, parmi lesquelles la vente de gré à gré, la garantie de prix et l’avance limitée à 40 %, qui ont été strictement encadrées dans le projet de loi. Le Sénat a singulièrement limité cet encadrement, alors que celui-ci apparaît essentiel pour éviter le détournement des ventes aux enchères de leur finalité et pour assurer la protection du consommateur et des sociétés de ventes.

Ventes sur l’Internet : là aussi, vous vous êtes opposée à un amendement du Sénat obligeant ces ventes à être organisées par des sociétés agréées. Craignez-vous la création d’un nouveau monopole ?
Le gouvernement estime que les ventes réalisées sur le réseau Internet ne sont pas des ventes aux enchères publiques, car elles ne sont pas ouvertes à l’ensemble du public. Ce sont des ventes purement commerciales qui ne sont pas concernées par le projet de loi. Je vous indique, par ailleurs, qu’une directive relative au commerce électronique est en cours de négociation à Bruxelles afin de réglementer les contrats entièrement conclus en ligne et, par conséquent, les ventes commerciales réalisées sur l’Internet. Dans le cadre de cette directive, il me paraît exclu qu’un nouveau monopole puisse être constitué.

Alors que le projet est élaboré depuis des mois, en dernière minute, semble-t-il, le gouvernement a introduit un amendement créant une Compagnie des commissaires-priseurs judiciaires de Paris. Quel est le sens de cette proposition, qui peut être perçue comme un retour inattendu vers une institution du passé ?
Tout d’abord une précision : le dispositif dont vous parlez ne constitue ni un retour vers le passé, ni une exception. En effet, des compagnies de commissaires-priseurs judiciaires existeront partout, et pas seulement à Paris. Leur champ d’activité sera néanmoins circonscrit à la seule activité de vente judiciaire, qui reste monopolistique. S’il a fallu instituer un régime particulier pour Paris, c’est que la Compagnie de Paris est actuellement la seule à exercer à la fois une activité purement ordinale et une activité économique, qui consiste à détenir l’intégralité des parts de la SA Drouot. Or, le projet de loi nous contraint à modifier cette structure, compte tenu notamment de la séparation des activités de vente judiciaire et volontaire. Nous avons voulu que cette transformation ne pénalise pas fiscalement la Compagnie de Paris, car la SA Drouot, qui comporte notamment la Gazette de l’Hôtel Drouot, est un instrument précieux pour les commissaires-priseurs parisiens.

Beaucoup de dispositions de la loi (rôle des experts, politique du Conseil des ventes...) vont dépendre de décrets d’application. En avez-vous connaissance ?
Dans le cadre de l’élaboration du projet de loi, une réflexion approfondie sur le contenu des décrets d’application a d’ores et déjà été menée par la Chancellerie. Ainsi en est-il notamment du contenu et de l’organisation de la formation des personnes habilitées à diriger une vente, ou des critères de qualification que ces personnes doivent réunir. Cependant, à ce jour, les dispositifs de la réforme n’étant pas finalisés, vous comprendrez qu’il est difficile d’aller très loin dans l’élaboration du volet réglementaire de celle-ci.

Sotheby’s, Christie’s et d’autres maisons étrangères vont donc pouvoir vendre en France. Mais du côté français, comment voyez-vous le futur paysage des maisons de vente ?
L’ouverture européenne du marché de l’art est une nécessité économique qui va modifier le système des ventes publiques en France ; c’est l’objectif même de la réforme proposée. Je constate que des regroupements se sont opérés depuis ces dernières années, permettant aux commissaires-priseurs d’être plus à même d’affronter la concurrence internationale. Il est certain que la transformation des études en sociétés commerciales va accentuer ce processus. Dans ce cadre, il faut souhaiter que l’Hôtel Drouot maintienne une forte activité et que, par ailleurs, les compagnies en région puissent s’affirmer tout en conservant leur rôle culturel.

À propos de la TVA à l’importation et du droit de suite, n’est-il pas erroné de ne raisonner que dans le cadre européen, c’est-à-dire face à la concurrence de Londres, et d’aligner les taxes à la hausse alors que le vrai danger vient de l’attrait du marché américain où la fiscalité est beaucoup plus faible ou inexistante ?
S’il est vrai que la fiscalité indirecte constitue un élément non négligeable du coût des transactions sur le marché de l’art, il serait faux d’attribuer à ce seul facteur le moindre dynamisme du marché de l’art européen par rapport au marché de l’art américain. En outre, quand on compare les fiscalités européenne et américaine, on oublie trop souvent de prendre en compte les impôts et droits qui relèvent des États fédérés et des municipalités. C’est bien parce que nous ne tenons pas la fiscalité pour le principal facteur de la compétitivité du marché de l’art que nous sommes en train de réformer les ventes publiques. Au sein de l’Union européenne, compte tenu de la faiblesse des distances, il est exact que la dérogation britannique sur le taux de TVA à l’importation a engendré une concurrence déloyale pour le marché de l’art français. Celui-ci bénéficiera de la disparition programmée de cette dérogation à la fin du mois.
En matière de droit de suite, je crois que le compromis proposé par la présidence allemande constituait une solution acceptable pour l’ensemble des États-membres, donnant le temps aux opérateurs de s’adapter. Je regrette que le Royaume-Uni ne l’ait pas saisie. En tout état de cause, la France continuera à défendre le principe d’une application du droit de suite à l’ensemble des ventes d’œuvres d’art, d’un barème unique au sein du territoire de l’Union européenne et d’une date d’application identique pour tous les États-membres.

Dans le cadre de la réforme des lois de 1913 et 1992, le sénateur Yann Gaillard vient de faire plusieurs propositions, notamment celle d’allonger à 25 ans la durée de refus du certificat de libre circulation et d’offrir des avantages fiscaux “compensatoires” au propriétaire de l’œuvre. Qu’en pensez-vous ?
Je souhaite prioritairement que la loi de 1992 sur la circulation des œuvres d’art soit modifiée au regard des problèmes constatés depuis son application. Il m’apparaît en effet nécessaire que la durée du certificat de libre circulation puisse être allongée à 25 ans pour les objets de moins de 100 ans, et, au-delà, que le certificat ait une durée illimitée. J’ai pris connaissance de la proposition de loi du sénateur Yann Gaillard, mes services et ceux du ministère des Finances en étudient le contenu fiscal. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors des prochaines discussions budgétaires au Sénat.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Entretien avec Catherine Trautmann

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