Enchères et un os

L’art actuel passe sous le marteau

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2000 - 680 mots

La vente organisée par Me Cornette de Saint-Cyr comportait un volet plus contemporain intitulé « Art actuel, 1990-2000 ». Particularité de cette vacation, de nombreuses pièces étaient de premier marché. Seul hic, dans la seconde partie de la vente, l’œuvre de Philippe Parreno n’en est pas une.

PARIS - Ancien galeriste, homme de radio, François Mitaine a eu une idée originale : organiser une vente publique d’art actuel en impliquant directement les artistes et leurs galeries, quand ceux-ci en ont une. Vingt-deux créateurs ont ainsi répondu positivement à son invitation, de Michel Blazy à Gloria Friedmann, de Gotscho à Emmanuelle Mafille. Les artistes, pour lesquels il s’agissait parfois de leur premier contact avec le monde des enchères, ont donné pour cette vente des pièces représentatives de leur démarche. Quatre d’entre eux ont même créé des œuvres spécifiquement pour la vente, “une première mondiale” selon François Mitaine. Malheureusement, les performances filmées d’Alberto Sorbelli ou de Boris Achour réalisées le jour même de l’adjudication n’ont pas trouvé preneur, François Mitaine regrettant un prix de réserve trop haut fixé ; La Critique de la séparation (Synopsis pour une tentative de son dépassement) de Boris Achour, une vidéo enregistrant sa propre mise aux enchères, avait pourtant atteint le montant honorable de 10 000 francs, loin cependant des 17 000 francs demandés par l’artiste. 50 % des lots ont toutefois trouvé preneur, à des niveaux souvent proche des prix de réserve. “Il n’y a pas de marché, nous a confié François Mitaine. Mon idée est d’en créer un. La vente aux enchères s’appuie sur des ressorts psychologiques complètement différents de ceux qui poussent à acheter en galerie. C’est très joyeux.” Cette vente a certainement aussi permis de faire découvrir des “jeunes” à un public qui ne les connaissait pas. Le catalogue, confié au graphiste Yorgo, comprend d’ailleurs une page par artiste, les œuvres étant accompagnées d’un texte présentant la démarche de chacun des créateurs, essayant ainsi de “renouveler le genre du catalogue de vente”, selon François Mitaine. Ce dernier devrait organiser une nouvelle vacation dans le même esprit au mois de juin, certainement dans un espace moins solennel que Drouot-Montaigne.

“Un document dédicacé”
La seconde partie de la vente regroupait des pièces de second marché d’artistes contemporains français et étrangers. Un lot sur deux a été dispersé, à des prix dépassant même les estimations pour des artistes comme Ming, Sugimoto ou Serrano, portés par des enchérisseurs étrangers à Paris au moment de la Fiac. Des collectionneurs français se sont intéressés à des œuvres d’Art Keller ou de Philippe Parreno. Le terme d’œuvre pour le lot de ce dernier porte justement à discussion. La page imprimée et encadrée comportant l’inscription “NO MORE REALITY” (lot n° 253) est en réalité issue de tracts distribués par des enfants lors du vernissage de l’exposition “No man’s Time” organisée par Éric Troncy à la villa Arson (Nice). La feuille ici présentée, signée par l’artiste, est loin d’avoir le statut d’œuvre. Pour Wilfrid Vacher, l’expert de cette partie de la vente, le lot est “considéré comme une œuvre à partir du moment où l’artiste l’a signé. Les gens ne se sont pas trompés puisque la pièce a été vendue. Même s’il s’agit d’un document, cela fait partie des choses qui peuvent se vendre”. Un argument qui laisse néanmoins planer le doute sur le respect de l’œuvre d’un artiste, surtout quand on pense au contrôle (naturel) qu’essaye de porter ce dernier sur son travail. “Je fais très attention à ce qui circule, nous a ainsi déclaré, après la vente, Philippe Parreno. Je fais très peu d’œuvres et mes pièces sont toujours entourées de beaucoup de précautions. Ainsi, chaque pièce est accompagnée d’un certificat. S’il s’agit ici d’une œuvre, où est le certificat ? C’est juste un document dédicacé. Je suis le seul, avec mes légataires, à décider s’il s’agit ou non d’une œuvre. Et ici, ce n’en est pas une. J’ai signé cette chose, mais ce n’est pas une pièce, c’est une dédicace. Après, c’est une question de fétichisme, mais c’est autre chose.” Fétichisation ou pas, cette affaire pourrait bien avoir des suites.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°115 du 17 novembre 2000, avec le titre suivant : Enchères et un os

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