Peinture

Du côté de chez Bernadet

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 10 février 2015 - 786 mots

Connu sur la scène internationale, Jean-Baptiste Bernadet l’est moins en France. Ses toiles sensorielles issues d’une série récente se sont pourtant arrachées dès l’ouverture de son exposition Chez Valentin.

PARIS - Dans l’entretien qu’il a récemment accordé au JdA (no 428, 30 janv. 2015) à l’occasion de l’exposition « The Shell » dont il est le commissaire à la galerie Almine Rech, Éric Troncy évoque ces jeunes artistes qui commencent aujourd’hui leur carrière de façon spectaculaire en raison uniquement de la cherté de leurs œuvres. Jean-Baptiste Bernadet, d’ailleurs présent dans l’exposition précitée, en est un bel exemple. Trentenaire (il est né en 1978 à Paris et vit à Bruxelles depuis 2000), il n’a encore bénéficié d’aucun texte de la part d’un critique, historien ou conservateur, et n’a participé qu’à un faible nombre d’expositions notables. Celle-ci, qui est sa première à la galerie Chez Valentin, n’est que sa deuxième à Paris, la précédente ayant eu lieu en 2011 à la galerie Torri. En somme, il n’y a pas grand-chose à ronger sur l’os de sa biographie. Et pourtant, le tableau vaut 30 000 euros. Et les six présentés dans cette exposition ont été acquis dès le vernissage. Pas mal pour un artiste peu connu dont le prix d’une toile (certes légèrement inférieure en dimensions) était encore l’année dernière de 8 000 euros. Alors ? Pour Philippe Valentin : « Il y a d’une part indéniablement en ce moment une spéculation sur la peinture abstraite, avec toute une génération d’artistes : Oscar Murillo, Israel Lund, Christian Rosa…  D’autre part, Bernadet ne vient pas de nulle part, il a un vrai background étranger. » De fait, l’artiste n’est pas vraiment un perdreau de l’année : à 36 ans, il totalise presque cent cinquante expositions au compteur, individuelles et collectives, à travers la planète. Car s’il a été peu vu en France, il a effectué plusieurs séjours aux États-Unis, dont une résidence à Marfa (Texas), et a beaucoup exposé sur la scène internationale, aux côtés d’artistes, américains notamment, qui sont ses amis, ses compagnons de route et ses voisins de prix. Et là, cela n’a rien plus rien à voir avec la scène française, ce qui explique sa cote.

La luminosité
Lorsqu’on interroge Jean-Baptiste Bernadet sur la façon dont il vit cette réussite, la réponse fuse : « Il est évident que le succès actuel me permet de travailler dans de très bonnes conditions, mais j’ai travaillé avant et, si l’engouement baisse, cela ne m’empêchera pas de continuer à travailler après. » Serein, sincère, sympathique, l’artiste sait d’où il vient, où il en est et se soucie de l’avenir comme d’une guigne. Aucune arrogance ni prétention dans ses propos, mais un indéniable engagement dans son histoire.

Avec tout cela, on en oublierait presque l’essentiel. Car que fait-il Jean-Baptiste Bernadet ? Il peint. Et plutôt bien, même très bien, de grands tableaux abstraits. Des mauvaises langues n’y verront que des fonds, une critique qui peut s’appliquer à une bonne partie de l’histoire de l’art abstrait et notamment au monochrome. On préfère y voir une maîtrise alerte de la touche et des couleurs qui explosent à la surface de la toile, entre le feu d’artifice et la roue de paon. Le résultat est séduisant. C’est fait pour. Bernadet a tout compris. Lumières, couleurs, sensations, impressions. Dans la lignée des impressionnistes, ce dont il ne se cache d’ailleurs pas – il aurait du mal –, et, plus loin, dans celle de la peinture vénitienne « qui privilégie la couleur plutôt que le dessin plus associé à Rome et à Florence ».

Lorsqu’il se présente en outre comme un « grand lecteur de Proust », alors tout s’éclaire – si l’on peut dire de quelqu’un qui fait ici de la luminosité la dominante de ses toiles : le petit pan de mur jaune, les vitraux, ou la lampe de la chambre de l’écrivain, qui, devenue lanterne magique, projette sur les murs « de surnaturelles apparitions multicolores » [in Du côté de chez Swann]. Comme chez Bernadet où se révèle alors, au sens photographique, l’aspect flouté d’une mémoire diffuse. Le titre de cette série, « Vétiver », rappelle d’ailleurs cette idée d’une perception familière et indistincte. D’une grande fraîcheur aussi. « La peinture je m’y sens bien », indique l’artiste. Et cela se sent dans ses toiles qui, en mettant la sensation au premier plan, revendiquent la jubilation et le plaisir. Le plaisir pris par le peintre, dans la rapidité de son approche qui lui offre surprise et immédiateté, et le plaisir pris par le spectateur, qui, s’il ne se laisse prendre, prend le temps de rentrer dans la peinture.

Jean-Baptiste Bernadet

Nombre d’œuvres : 6 (dimensions 2,35 x 2,10 m)
Prix : 30 000 € pièce

Jean-Baptiste Bernadet, Vetiver, jusqu’au 7 mars, galerie Chez Valentin, 9, rue Saint-Gilles, 75003 Paris, tél. 01 48 87 42 55, www.galeriechezvalentin.com, du mardi au samedi 11h-13h, 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : Du côté de chez Bernadet

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