Des vendeurs déraisonnables

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2008 - 541 mots

Le petit monde de l’art a retrouvé ses couleurs après avoir retenu son souffle depuis le début de l’année. Certains se rassérénaient déjà en pointant du doigt le redressement ténu du dollar et la stabilisation des Bourses mondiales. « Penser que la crise est finie est ridicule. On ne s’en sortira pas comme ça ! », avertissait toutefois le professeur d’économie Michel Aglietta dans le quotidien Le Monde en avril.

Nonobstant la récession américaine et la stagflation européenne, la quinzaine des ventes new-yorkaises s’est déroulée de manière flamboyante. Timorés depuis six mois en galerie, les Américains sont sortis de leur réserve. Certes, dans la vente impressionniste et moderne de Christie’s le 6 mai, seuls 32 % des acheteurs venaient d’outre-Atlantique. Avec 52 % des enchérisseurs, les Européens menaient la danse, profitant d’un dollar faible. Ce soir-là, un seul collectionneur européen a raflé près de 70 millions de dollars en lots. En revanche, le lendemain, les Américains représentaient 67 % des adjudicataires, puis le gros du contingent des dispersions d’art contemporain. Signe que le marché se dérobe aux généralisations.

Cinglantes méventes
Le marché ignore aussi le principe de réalité. Au vu des très bons résultats obtenus notamment pour des lots insipides, les vendeurs risquent de se montrer encore gourmands pour négocier prix de réserve et garanties. « Les résultats sont suffisamment bons pour que les vendeurs ne redeviennent pas raisonnables, confie le spécialiste de Christie’s Thomas Seydoux. Le marché nous supplie pourtant de donner des estimations basses, mais c’est la croix et la bannière pour convaincre les vendeurs. » Et d’ajouter : « Le marché réel est à 40 % plus bas. Il y a certes de nouveaux acheteurs, qui représentent 20 % des adjudicataires, et qui peuvent aller à 40 % de plus que les prix normaux. » Mais ces nouveaux acheteurs n’enchérissent pas forcément à tout va. D’où de cinglantes méventes. Ce fut le cas d’un Van Dongen qui, avec une estimation de 12 à 16 millions de dollars, prétendait s’étalonner sur le record de 5,6 millions de livres sterling (11,17 millions de dollars) décroché en février. Ou d’un Lichtenstein, acheté pour 4 millions de dollars en 2001 et invendu le 13 mai sur une estimation de 14 millions. Selon le courtier Philippe Ségalot, « les ventes ont démenti pour le moment l’écart qu’[il] présage entre le haut du panier et le moyen, mais [il est] sûr que cela viendra ».
Le tout est de savoir quand. Car il est difficile de comprendre les 92 000 dollars atteints par Matthew Monahan, ou les 260 000 dollars décrochés par Sterling Ruby, deux jeunes artistes propulsés chez Phillips de Pury et Company le 15 mai. La maison de ventes a toutefois eu les yeux plus gros que le ventre en estimant à hauteur de 150 000 dollars une sculpture de Banks Violette acquise pour 3 000 dollars sur la foire Liste à Bâle en 2004.
Malgré quelques accidents de parcours, le marché est bel et bien reparti pour un tour. Et visiblement, il croit davantage dans la solidité de l’art que de celle de la pierre. Si un tableau de Freud a été adjugé pour 33,6 millions de dollars, une maison de l’architecte Richard Neutra (1892-1970) s’est contentée de 16,8 millions de dollars...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Des vendeurs déraisonnables

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