Des Rothschild d’exception

La vente triple son estimation haute

Le Journal des Arts

Le 27 août 1999 - 788 mots

Vingt-trois records mondiaux ont été établis le 8 juillet lors de la dispersion à Londres par Christie’s de la collection des barons Nathaniel et Albert von Rothschild, l’une d’une des plus importantes jamais vendues en Europe : un livre de prières est parti à 8,5 millions de livres sterling, tandis qu’un portrait de Frans Hals s’envolait à 8,2 millions. La collection, qui a totalisé plus de 57,7 millions (environ 577 millions de francs), a triplé son estimation haute.

LONDRES (de notre correspondante) - Épuisé, Lord Hindlip, président de Christie’s, a adjugé le dernier lot de la collection Rothschild à 23 heures, le 8 juillet, concluant une vente marathon qui s’est soldée par un résultat de  57,7 millions de livres sterling, du jamais vu en Europe. En l’espace de six heures particulièrement théâtrales, l’une des plus grandes collections au monde, dont beaucoup pensaient qu’elle n’apparaîtrait jamais sur le marché, a été dispersée.

La salle est demeurée bondée du début à la fin. Vingt-trois nouveaux records de vente ont été établis, notamment pour des manuscrits enluminés, du mobilier français, des pièces d’horlogerie, des tapis, des instruments de musique, des armes et armures, ainsi que pour plusieurs tableaux d’artistes hollandais dont une œuvre exceptionnelle de Frans Hals, le Portrait de Tieleman Roosterman, adjugé plus de 8,5 millions de livres (lire l’article sur les ventes de tableaux anciens p. 27).

Parmi les acheteurs, 73 % venaient d’Europe, 22 % des États-Unis, les 5% restants du Moyen-Orient. Tous les objets proposés à la vente ont trouvé preneur, et de nombreux lots ont largement dépassé leurs estimations.

Les opérations de restauration entreprises au XIXe siècle sur certains objets mineurs ou encore les contrefaçons évidentes inscrites comme telles dans le catalogue n’ont pas découragé les acheteurs. Les armes et les armures du célèbre Frederic Spitzer ont été enlevées à des prix bien supérieurs à leurs estimations. Les collectionneurs privés, désireux de posséder une des pièces prestigieuses ayant appartenu à la famille Rothschild exposées par les musées nationaux autrichiens, ont été particulièrement actifs. Les marchands se sont en revanche montrés très discrets. Faisant ainsi écho aux analyses des experts de Christie’s, ils se sont empressés d’expliquer que ces prix n’étaient en aucun cas représentatifs du marché en général, mais étaient liés au climat passionnel qui a entouré la dispersion de la collection.

Un livre de prières adjugé 8,5 millions de livres
L’un des prix les plus impressionnants a été atteint par le Missel Cornaro, du début du XVe siècle, provenant de l’Italie du Nord . Il ne lui a pas fallu plus de dix minutes pour trouver un acquéreur : dépassant largement son estimation de départ de 150-250 000 livres, il s’est envolé à 2,86 millions (environ 29 millions de francs). Un grand marchand en avait fait une description fort peu élogieuse, le taxant “d’exercice des plus banals”. En effet, ce missel, séduisant et de grand format, ne peut cependant pas être considéré comme une grande réalisation picturale, et encore moins comme l’un des plus beaux archétypes de sa catégorie. Une adjudication aux alentours de 800 000 livres aurait été plus réaliste. Les 8,5 millions atteints par le livre de prières des Rothschild, contre une estimation de 2-3 millions, était plus prévisible. Les enluminures ont été peintes à Gand ou à Bruges vers 1505. Il s’agit d’une réalisation d’atelier magistrale et extrêmement minutieuse, avec soixante-dix-sept miniatures en pleine page dont certaines sont d’une incroyable beauté et comprennent des illustrations signées de grands noms comme Gerard Horenbout, Simon Bening et Gerard David. Mais, à l’instar de toutes les œuvres d’atelier, il est de qualité inégale. Prix record de la vente, il reste toutefois loin des records mondiaux en matière de manuscrits enluminés.  Ces deux ouvrages ont été acquis  par la même personne ; il pourrait s’agir d’un membre de la famille Rothschild résolu à s’approprier ces livres quel qu’en soit le prix. Deux pièces de mobilier français de très grande valeur ont également atteint des sommets : une commode estampillée Riesener (lire l’encadré ci-dessous) et un somptueux régulateur de parquet. Dotée d’un mécanisme mis au point par Ferdinand Berthoud, d’un boîtier réalisé par Balthazar Lieutaud et de ferrures signées Caffieri – et commandée à l’origine par le César-Gabriel de Choiseul –, cette horloge Louis XVI en ébène, avec calendrier astronomique perpétuel, a doublé son estimation haute en étant adjugée 1,75 million de livres à un enchérisseur anonyme au téléphone.

La qualité moyenne de certaines pièces n’a nullement dissuadé les collectionneurs qui n’ont pas hésité à payer des prix très élevés. Un secrétaire avec des ferrures de chrysocal fabriqué au XIXe siècle à partir du squelette d’une commode Régence, présenté dans le catalogue comme une contrefaçon, a malgré tout triplé son estimation basse pour partir à 25 300 livres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°87 du 27 août 1999, avec le titre suivant : Des Rothschild d’exception

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque